C’est parce que « Nous avons aussi bien des yeux que des oreilles » et une intelligence aussi que John Cage s’est fendu de ces textes de présentation d’une de ses œuvres majeures. Preuve que l’œuvre est non seulement sonore mais littéraire. Dans les deux cas, Cage défend la destruction des syntaxes esthétiques et langagières. Il s’agit de casser les ordres établis selon un désordre qui n’a rien d’un chaos. Pour détruire les barrières, l’œuvre avance au gré des situations et selon une approche où se mêlent lisible, visible et audible.
Héritier de Dada, adepte du bouddhisme, Cage fait de l’art non seulement un lieu du plein d’images et de sons mais aussi du vide et du silence. La musique reste néanmoins son mode premier d’expression - toutefois, le poétique n’est jamais loin. Musique et mot sont là afin de sonder les abysses dans la suite de Thoreau et Mallarmé. Pour l’artiste, l’art doit donc passer par une ascèse propre à nourrir écoute et interrogation.
Toute la démarche créatrice passe ainsi par le blanc et le silence afin de repartir « à zéro » et reconstituer une virginité culturelle, mentale et perceptive. Cage convie son public à la méditation autant par sa “musique” que par ses happenings (comme son premier où le public était invité à la toile blanche de Rauschenberg).
Sa poésie, quant à elle, est dans la droite ligne du « coup de dés ». Le blanc y est essentiel mais son point zéro n’est qu’un degré premier. Il ne vise qu’à recréer les conditions de la liberté créatrice pour celui dont le savoir ou la culture sont comme la nature : des réservoirs de formes où puise l’artiste. D’où le recours constant au plagiat institutionnalisé par Cage, en principe fondamental d’écriture et élevé au rang de morale sociale pour celui qui, à la possession des choses, préfère leur utilisation lorsque le besoin s’en fait sentir.
jean-paul gavard-perret
John Cage, Quatre textes d’introduction aux quatre parties de Empty Words. Traduit de l’anglais (USA) par Pascal Poyet, Editions Contrat maint, Toulouse, 2016.