Il y a chez Jacques Séréna un peu d’Eugène Savitzkaya, de B-M Koltès mais avec l’amour des femmes. A travers elles, il traque en lui l’animal humain, le ramenant parfois au peu qu’il est. Tout est une question de traces, de passages. L’écriture et la photographie en sont de très belles mais l’emportent-elles sur les femmes ? Ce n’est pas sûr et tout dans les procédures d’appel poétique de l’auteur rappelle les prises de Greenaway en ses Drawings by numbers où se confondent signifiant et signifié,ce qui anéantit l’écart et l’épaisseur de surface. La lettre comme l’image “colle à la peau” et c’est ainsi que l’œuvre avance au gré des jours pendant qu’il est encore temps.
Entretien :
Ce qui me fait lever le matin : L’idée qu’il me reste peu de temps et que j’ai à peine commencé.
Mes rêves d’enfant, justement, j’ai mis du temps à oser faire le saut, je me rêvais en artiste semi-maudit, j’y suis quand même pour ainsi dire arrivé.
A quoi j’ai renoncé : à chanter, à peindre, à jouer dans des films, à danser le tango, et surtout, encore et toujours, à poursuivre de belles aventures avec l’une ou l’autre, histoires qui menaçaient d’être trop accaparantes.
D’où je viens : Du fin fond de l’Auvergne, où mes parents m’avaient placé chez mes grands-parents. Je viens de cette chance de n’avoir pas été élevé chez mes gros parents avec mes gros frères et soeurs, je viens de longues journées solitaires au bord d’un ruisseau.
Ce que j’en ai reçu en dot : La manie de repenser longtemps chaque évènement, de vouloir comprendre, de les imaginer autant que de m’en souvenir. Et ne pas craindre d’être rejeté, savoir ce qu’on y gagne, en fin de compte.
Un petit plaisir quotidien : Me coucher avec un livre jusqu’à m’endormir tard au milieu d’une page. (ou prendre une amie de passage en photo, mais ça, ce n’est quand même pas tous les jours).
Ce qui me distingue des écrivains que je connais : Mes personnages, comme moi, doivent toujours se battre sur deux fronts, d’un côté se démener dans leurs mésaventures sentimentales, d’un autre, parallèlement, trouver les moyens de pouvoir continuer à le faire, c’est-à-dire garder un toit, se sustenter, etc… Il me semble que mes collègues et leurs personnages voyagent, vont de restaurant en hôtel, sans qu’on ne sache jamais avec quel plan ils se procurent leur argent.
Une image première marquante : Une cousine courant nue dans l’herbe au bord du Sichon (Allier), elle avait seize ans, je devais en avoir dix. (mais j’ai peut-être enjolivé, je me connais).
La première lecture captivante : Baudelaire, ses Fleurs du Mal. Quelqu’un qui formulait ce qu’on avait cru indicible.
Mon attirance pour les photos et commentaires érotiques, je pense, vient de ma gêne, je joue avec, comme dans mon théâtre. Si moi ou la fille que je photographie n’éprouvons pas la moindre gêne, ce n’est pas la peine. Je dois jouer avec le désir de ce que je crains, et la crainte de ce que je désire, il y a de ça.
Les musiques que j’écoute : Nick Cave, ces temps-ci, et en soirée Per Norgard, Edgard Varese (en tout cas jamais rien de rapide ou de jovial.)
Le livre que j’aime relire : Molloy de Beckett, et à chaque fois le même plaisir, les mêmes rires.
Le film qui me fait pleurer : La Strada de Fellini.
Dans un miroir, je vois un vieux cabot qui n’a pas appris son rôle.
Je n’ai jamais osé écrire à Alain Bashung alors qu’il avait dit à un ami commun qu’il aimait beaucoup mes livres.
Un de mes lieux myrhiques, c’était dans un jardin que j’avais, sous un néflier, c’est là que pour moi l’amour avait été fait, puis défait.
Je me sens proche d’êtres comme Eugène Savitzkaya, Jean-Philippe Toussaint, pour ne citer que des encore un peu vivants, je sens en eux un côté mal adapté à la vie, quelque chose de L’Idiot de Dostoïevski, ou de Buster Keaton, qu’évidemment j’ai toujours senti en moi.
Pour mon anniversaire : Rien. Les anniversaires que tout le monde a oublié de me souhaiter m’ont laissé les plus beaux souvenirs (indécrottablement romantique) Mais un cadeau finit toujours par faire pleurer, de toute façon).
Ce que je défends : Le droit de rire de tout, de soi d’abord, le droit de trouver ridicule la plupart des agissements d’autrui, et des surtout raisons qu’ils se donnent. Le droit de vivre selon ma propre échelle des valeurs, refuser un travail bien payé s’il est débile, faire une journée de train pour manger une pizza avec une actrice qui en a manifesté le désir, etc…
La phrase de Lacan. (« Aimer c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”) Pour ce que j’en sais, certains soirs on a bel et bien en soi une espèce d’amour à donner, qui crée véritablement du moment de vie extra-ordinaire, et l’autre non seulement on en a envie mais on en a un crucial besoin.
Cette phrase de Woody Allen(« La réponse est oui mais qielle était la question ») trouve plus d’écho en moi, il me semble que j’ai souvent dit oui sans savoir à quoi, et bien m’en a pris, finalement.
Une question oubliée. Souvent on me demande si ce que j’écris est “vrai”, si ces évènements me sont “vraiment” arrivés. J’aime répondre que c’est ce que je peux dire de plus vrai, que même si je n’écris pas tel que c’est arrivé, quand je l’écris, en y mêlant, forcément, mes craintes et mes désirs, à ce moment-là, c’est de cette façon que ça m’arrive. De toute façon, je n’ai jamais cru aux “histoires vraies”.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 3 janvier 2016.