Une nouvelle fois, Jean Frémon publie un livre qui est une exception. Il a comme sujet plus qu’objet : Louise Bourgeois. L’auteur a réalisé la première exposition de l’artriste en Europe en 1985 à la Galerie Lelong. Trente ans plus tard, il a proposé la dernière exposition directement conçue par elle, à la Maison de Balzac. Frémon propose ses rêveries du promeneur solitaire autour de l’artiste ou presque « dedans » puisqu’il écrit le monologue intérieur de l’artiste.
Solitaire comme personne, Louise Bourgeois parle, se parle, fait un bilan chaotique de sa vie qui l’était beaucoup moins que ce qu’elle feignait de laisser voir. Frémon a de la matière – entre autres ses écrits parus il y a quelques années chez Daniel Lelong (Déconstruction/reconstruction du père). Mais l’auteur ne propose en rien une biographie. Il a compris combien un tel genre n’était qu’une plaisanterie. C’est pourquoi dans ce texte, si rien n’est vrai tout est plausible.
Le texte vagabonde de manière magistrale dans les humeurs et l’humour de Louise dont la vie commença sur une séries d’impasses dans lesquelles l’auteur et son modèle refont les cents pas. Avec la créatrice, ce qui désapproprie l’être fonde l’œuvre (l’inverse est vrai aussi). Et si comme le rappelle ce texte, l’artiste n’est jamais parvenue à désencoigner cette crevasse de silence où tout tomba d’abord en elle, ses “dépôts” retenus, relevés sont des reliques qui ne peuvent cependant servir à aucune sanctification ou exhibition d’un secret.
L’œuvre de Frémon comme celle de Bourgeois n’exhibe que le lieu, elle n’est le reliquaire de rien qui se cacherait derrière, elle se veut le support d’aucun culte, d’aucun rituel. L’indice textuel n’est que la fable d’une perte, la fable d’un être pour gérer sa perte. La recherche du secret est donc axée sur la perte et, tout compte fait, ce que l’artiste nous livre n’est que l’aptitude à rendre les choses et les êtres absents.
L’écriture et l’art ne sont plus ici comme le jour et la nuit. Ils s’assemblent dans un fleuve charriant des fragments pour que surgisse la pulsation directe des images dont la fixité brusquement se renverse, déborde. A ce titre, plus qu’ouvrage sur Louise, ce livre qu’on ne peut pourtant qualifier « de Louise » est un poème en prose phosphorescent. Il rappelle « que la vérité est une image ». Mais pas n’importe quelle image.
jean-paul gavard-perret
Jean Frémon, Calme toi, Lison, P.O.L., Paris, 2016, 128 p. — 9,00 €.