Entre le protéiforme Viskovitz et son élusive Ljuba, c’est un kamasutra réjouissant qui relie le bestial au sublime.
Drôle de spécimen qu’Alessandro Boffa : actuellement partagé entre l’Italie et la Thaïlande après quelques années Californiennes, cet ancien étudiant en biologie est pourtant né à Moscou en 1955.
Et de biologie il va être question dans ce premier livre, de cet instinct urgent qui pousse les sexes l’un sur l’autre, depuis que le monde est monde.
Entre le protéiforme Viskovitz et son élusive Ljuba, c’est un kamasutra réjouissant qui relie le bestial au sublime sans jamais se prendre les pieds dans la chaîne ADN.
Chassez le naturel…
Le drame d’être un végétal, c’était l’impossibilité de se suicider. L’avantage d’être une éponge, c’est la possibilité de boire un coup pour oublier.
Quand la chaleur d’un aimé signifie calorie plutôt qu’affection, il y a de quoi devenir névrosé, pathologie classique chez les mantes religieuses adolescents ! Humilié, castré ou même dévoré par sa femelle, le destin d’un invertébré mâle travaillé par la libido n’est pas forcément rose… Et pourtant, des désillusions du vaillant petit bousier aux pulsions incontrôlables du scorpion, Viskovitz, Ljuba et leurs amis s’abandonnent sans retenue aux vertiges des lois de l’attraction.
Discipline de la fourmilière ou complexités de l’étiquette du banc de poissons, Viskovitz observe, se conforme, voire se démarque, en une vingtaine d’incarnations. Perroquet des Caraïbes piégé par les abus de langage, loir régnant sur un monde onirique, caméléon en quête identitaire, toxicomane canin et néanmoins bouddhiste, faux bourdon ou vrai cafard, les constantes dans cette ménagerie restent le désir, l’amour, la mort.
Espèces en évolution
Extrêmement bien documenté, chaque détail physiologique des règnes visités a son importance : c’est bien souvent le ressort qui explique leur comportement et leur décalage avec nos valeurs. Face aux dangers et tragédies qui menacent les protagonistes de tous poils, jamais de complaisance, mais la tendresse ironique de l’auteur est omniprésente. Fable après fable, impossible de contenir son rire !
Malgré les comparaisons inévitables avec les motivations humaines, la métaphore n’est pourtant pas le pivot du récit. Avec un humour zen bien à lui, Alessandro Boffa nous invite à dépasser la vision anthropocentrique pour rendre au lecteur sa place dans ce bestiaire : une place toute relative.
En fin de compte, j’imagine qu’une meilleure connaissance de nos compagnons animaux peut faire merveille pour dissiper toute jalousie que nous pourrions ressentir envers l’impudeur de leurs instincts, et nous aider à percevoir l’hypocrisie de la civilisation et notre propre gâchis sentimental avec soulagement et gratitude. conclut l’auteur dans une interview pour l’édition anglophone.
L’air de rien, ce joli petit livre tire le portrait de l’essence vitale qui s’exprime sur notre planète. Preuve que la philosophie ne s’écrit pas forcément avec des mots compliqués, cet animal de Viskovitz distille sagesse et humour en quelques pages, une méditation zoologique aussi savoureuse que cruellement réaliste.
stig legrand
Alessandro Boffa, Tu es une bête Viskovitz (traduit par Nathalie Bauer), Le Serpent à Plumes coll. “Motifs”, 2002, 207 p. — 6,00 €.
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