Fin 1916, des événements conjugués comme la mort de l’empereur François-Joseph, les effets du blocus naval britannique sur les populations, les échecs à Verdun et sur la Somme, amènent l’amirauté allemande à reproposer la guerre sous-marine à outrance. Pour justifier celle-ci, le chancelier allemand rédige une proposition de paix …inacceptable par les alliés. Mais cette offre de paix s’insère dans l’esprit des populations et, comme un virus, mine le jusqu’auboutisme des militaires. Fin 1916, c’est la mise au placard, avec tous les honneurs, de Joffre dont l’attitude a lassé toute la classe politique, pour le remplacer par Nivelle, ce général qui promet la victoire en 24 heures. Il s’appuie sur son succès local, à Verdun, obtenu dans des circonstances précises, pour en faire une règle générale. Or, des conditions bien différentes entraînent le désastre que l’on connaît. Mais l’historien explicite toutes les responsabilités qui ont conduit à l’échec de Nivelle au Chemin des Dames, en avril 1917, sans le dédouaner pour autant : 117 000 morts pour les vingt premiers jours de combat.
Parallèlement, c’est l’entrée en guerre des États-Unis excédés de voir couler leurs navires et agacés par l’entourloupe des Allemands fomentant un complot contre eux. C’est ainsi que s’inaugure la diplomatie américaine du XXe siècle : de grands idéaux motivés par des motifs mercantiles et des intérêts bien pesés. En ce début d’année, la révolution triomphe à Petrograd. La situation interne de la Russie est telle que, militairement, il ne faut plus rien attendre de cette armée paralysée.
Ce sont également les mutineries, les refus de monter en ligne, les manifestations de colère des soldats, de tous ceux qui en ont assez de se faire tuer pour rien. Mais ce sont aussi, dès le printemps, à l’arrière, les mouvements sociaux des ouvrières mal payées alors que les prix des denrées de premières nécessités s’envolent. Clémenceau, qui se pose en recours depuis quelques mois, triomphe en novembre. Il compose un gouvernement de sous-fifres pour être le seul maître. Jean-Yves Le Naour décrit, avec objectivité, le parcours de ce vendéen : “La mémoire a élevé une telle statue au Tigre qu’il n’est en effet pas si évident de le désacraliser en revenant sur les petits calculs peu honorables qui l’ont conduit au pouvoir.“
Avec des éléments historiques de premier ordre, avec un art consommé de la narration, l’historien offre un récit palpitant, vivant, tendu, proche du rythme d’un thriller. On ne lâche pas ce livre, se passionnant à l’évolution des situations, pour des acteurs plus ou moins attachants dont on connaît, cependant, la destinée.
Le Naour sait prendre de la hauteur de vue pour faire apprécier les conséquences de décisions, les répercussions de celles-ci sur la population, sur la troupe. Il donne des détails piquants, précieux, sur la vie quotidienne comme, par exemple, Joffre qui doit payer le chauffage du bureau qu’on lui a trouvé aux Invalides. Il montre aussi, dans leur réalité, le cheminement des décisions prises, les motivations sordides des politiciens, les calculs méprisables pour arriver au pouvoir, puis pour s’y maintenir, sans se soucier le moins du monde du nombre de morts que vont entraîner ces impérities.
Avec 1917. La paix impossible, Jean-Yves Le Naour continue d’élever un monument érudit sur ce conflit. S’il fallait choisir une série, parmi la pléthorique production sur le sujet, c’est la seule à retenir.
serge perraud
Jean-Yves Le Naour, 1917. La paix impossible, Editions Perrin, octobre 2015, 448 p. – 23,50 €.