Guillaume Cassegrain, La Coulure — histoire(s) de la peinture en mouvement. XIe & XXIe siècles

La cou­lure ou l’ascension de la peinture

C’est parce que la pein­ture est en déca­dence depuis l’âge des cavernes qu’elle a quelque chose d’intéressant à mon­trer. Mais d’elle, on n’a pas encore tout “dit” . Guillaume Cas­se­grain prouve qu’après bien des temps de rete­nue et grâce à l’expressionnisme abs­trait amé­ri­cain la cou­lure a rejailli (mais de manière nou­velle) dans la pein­ture. Jack­son Pol­lock bien sûr mais aussi Cy Twom­bly, Brice Mar­den, Mor­ris Louis ont osé un geste libre et nova­teur dans leur tra­vail et leur approche du tableau.
Le drip­ping n’en est qu’une forme, sans doute radi­cale, mais qu’une forme tout de même. Chez lui comme chez les créa­teurs du même mou­ve­ment nord-américain, elle n’est pas méta­phore ou repro­duc­tion d’une autre cou­lée (le sang par exemple). Dans la pein­ture clas­sique, la cou­lure était pré­sente. Michel-Ange, Tin­to­ret, Lucas Cra­nach, Le Cara­vage ont illus­tré la pré­sence « liquide » au sein de leur médium. Mais, au milieu du XXème siècle, l’épanchement de la matière pic­tu­rale répond à d’autres cou­lées « dans » le réel. Il ne s’agit plus de larmes ou du sang du Christ, des saints et des mar­tyrs, mais de tâches et de traînées.

Volonté ou par­fois acci­dent, la cou­lure a créé diverses poé­sies plas­tiques. Elle est deve­nue non objet mais sujet. Com­posé lui-même de « cou­lées » en frag­ments, le livre « méta­pho­rise » le che­mi­ne­ment de la matière et met en évi­dence des ten­sions et des rete­nues incon­nues jusque là. Henry de Groux, Chris­tian Can­tos, Gérard Fro­man­ger, Gérard Bard per­mettent de mon­trer jusqu’où cette tech­nique a pu mener. Il manque certes des grands noms tels celui de Georges Badin. Mais on excu­sera faci­le­ment l’auteur qui donne à lire l’œuvre man­quante à l’histoire de l’art.
Cas­se­grain montre com­bien la cou­lure pro­pose un démenti majeur aux théo­ries clas­siques de la pein­ture. Plu­tôt que de quit­ter le tableau, les « cou­lants » ont lutté à l’intérieur du cadre pour en faire sur­gir des formes inédites. Des artistes ont refusé le jeu intel­lec­tuel qui assi­gnait des limites à la créa­tion sous pré­texte d’un « bien » peindre. Se refu­sant à par­ler des choses du réel, la cou­lure a donc fait une brèche dans la pré­ten­due beauté en dyna­mi­tant le bâillon de la figu­ra­tion, fût-elle « abs­trac­tive ».
Dans les œuvres rete­nues par Cas­se­grain il n’est plus ques­tion de retrou­ver nos idées, nos cli­chés. Nous sommes en face de ce qui nous échappe. Pour autant, il ne s’agit pas de songes : les créa­teurs ne rêvent pas, ils tra­vaillent en dépas­sant les dogmes pour éprou­ver la pein­ture et la pous­ser plus loin. Ce qui jusque là était une bévue devint un lan­gage. Il nous parle avec obstination.

jean-paul gavard-perret

Guillaume Cas­se­grain, La Cou­lure – histoire(s) de la pein­ture en mouvement.XIe & XXIe siècles, Edi­tions Hazan,  2015, Paris, 265 p. — 45,00 €.

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