Quand l’eau de pluie anonyme lave le sel des larmes
« On ne chasse pas le brouillard avec un éventail » rappelle Sylvie Marot : c’est pourquoi au lieu de bétonner une fiction ou de faire appel à un « modeleur », elle confectionne sa propre dentelle. Le « elle » prend l’empreinte du « je » non par commodité de la conversation mais pour une habile conversion : elle évite de sacrifier « aux suintements nocturnes » des pleurs inhérents à un amour qui, suivant le cas général, a fini mal. Cela permet aussi une certaine distance teintée d’humour par rapport à soi-même.
D’une année de remontée (qu’on préfèrera à la vessie-lanterne de la résilience), la poétesse refuse le récit : elle préfère « amputer, enlever, sectionner, retrancher, supprimer, trancher ». Cela est déjà un signe. Et son texte y gagne. La discrète tente de sortir de son « asthénie généralisée » même si elle « a perdu la gourmandise » et reste sourde aux compliments qu’on lui adresse.
Peu à peu, toutefois, l’écriture se fait plus sensuelle . Ce ne sera plus un simple accroc qui ouvrira la soierie de sa jupe et qu’importera (bientôt) si un ogre la tira par les pieds. Certes, devant sa grotte il paradait et « elle » s’était mise à croire ses orgues à prières dont le latin résonnait comme des gazouillis d’oiseaux. De son dieu, elle n’a plus à redouter le tonnerre mais cela ne se fait pas en un jour. Il lui faut déconstruire son théâtre masochiste.
Des scènes en marquent la sortie, parfois sur la pointe des pieds et peu à peu de manière plus ouverte. Au silence « sonorisée » par la complainte de la mutilée fait place le chant de la femme en réveil : « Pas de lisianthus violets à l’étal du fleuriste. Mais des amandes fraîches chez le maraîcher. Elle échange le plaisir de contempler ses fleurs au liséré encré à celui de la dégustation du fuit éphémère ». Une page va se refermer en même temps que le livre. Personne ne lui dit plus « de ne pas ». Même plus elle-même.
« Elle » ne pâtira plus de l’interdit et surtout ne s’en imposera pas de plus terrible. Il aura fallu bien des jours pour nettoyer les parois de sa vie mais la presque endormie, en dénudant le graine de l’amande, déguste une potion magique et croquante. De celle qui réveille les morts, donne courage, dégrafera ses corsages et fera glisser les robes.
Plus question de se vêtir d’une peau de bête et de vivre dans une grotte en ascèse. La chair n’est plus retirée. Celle qui s’était perdue ou du moins croyais l’être rentre dans son corps. « Elle s’efforce de séparer ce qui est et ce qui n’est plus » sans encore oser imaginer ce qui serait. Mais le vertige que mille vibrations de douleur avaient figé semble à nouveau possible : rêver de caresses, de baisers devient une hypothèse moins douteuse. Certes, un doute subsiste mais le sourire est proche. L’eau de pluie anonyme lave le sel des larmes. Ce n’est plus seulement l’extase du vide qui guérit de la maladie du temps.
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jean-paul gavard-perret
Sylvie Marot, Lisianthus, Les éditions de la Crypte éditions, 2015.