Ma Jian, Chemins de poussière rouge

Ma Jian, peintre, poète, pho­to­graphe et roman­cier, est à la fois auteur et héros de ce livre. Il y décrit avec pas­sion son périple à tra­vers la Chine

Nos chro­ni­queurs font des émules ! Il faut dire aussi qu’ils ne se ménagent pas quand il s’agit d’inviter tout pas­sionné de lec­ture à user de sa plume dans nos pages. Charles Dupire est un excellent pro­sé­lyte, et il a convaincu Vio­laine Cher­rier de nous rejoindre. Dotée d’un bon bagage scien­ti­fique c’est tout de même l’amour des Lettres qui pré­vaut chez elle, assorti d’un goût pro­fond pour les voyages, les beaux-arts, le cinéma… En deux mots c’est une jeune femme très éclec­tique — et géné­reuse avec ça puisqu’elle a créé avec quelques amis l’association Écoles sans fron­tières dont le but est d’apporter du maté­riel sco­laire dans les régions les plus défa­vo­ri­sées du Séné­gal.
Vous l’aviez croi­sée cet été — mais comme en pas­sant… — à la faveur d’une chro­nique qui déjà emme­nait ailleurs :
Pro­vi­soire, de Wolf­gang Hil­big.
C’est main­te­nant vers la Chine que son appé­tit de lec­ture l’a conduite…
La rédac­tion

L’invitation au voyage

Ma Jian, peintre, poète, pho­to­graphe et roman­cier, est à la fois auteur et héros de ce livre, dans lequel il décrit avec pas­sion son périple de trois ans à tra­vers la Chine, une Chine mys­té­rieuse, envoû­tante, plu­ri­cul­tu­relle et aux richesses infi­nies.
Vivant aujourd’hui — ce depuis plu­sieurs années — à Londres, il fait par­tie de cette géné­ra­tion d’artistes chi­nois, héros de la Révo­lu­tion cultu­relle mais que la cam­pagne contre la “Pol­lu­tion intel­lec­tuelle” a broyés. Par “Pol­lu­tion intel­lec­tuelle” Deng Xiao­ping dési­gnait, dans les années 1980, ce que les artistes remet­tant en cause le com­mu­nisme répan­daient à tra­vers leurs oeuvres.
Divorcé et père d’une petite fille, Ma Jian est soup­çonné de dis­si­dence par le syn­di­cat pour lequel il tra­vaille, au dépar­te­ment de la pro­pa­gande étran­gère de la fédé­ra­tion des syn­di­cats de toute la Chine. En proie à des amours tumul­tueuses, il décide alors de quit­ter Pékin pour un long périple de trois ans qui va le mener des vastes plaines de l’extrême Ouest jusqu’au Tibet, en pas­sant par les côtes du Sud. De ce voyage, dou­blé d’un réel che­mi­ne­ment inté­rieur, est né ce livre, qui entraîne le lec­teur à la décou­verte d’un pays aux mul­tiples facettes, à l’histoire plu­ri­mil­lé­naire et aux cultures aussi riches que diverses.

Tour­menté, vaga­bond, rebelle, converti au boud­dhisme mais en proie à de nom­breux doutes, Ma Jian part à l’aventure, sur les routes qui le mène­ront à lui-même.
Main­te­nant que je suis un vaga­bond déra­ciné, le Boud­dha guide peut-être mon che­min ?!
Au fil des jours il fait de mul­tiples ren­contres — des pay­sans, des pêcheurs, des cher­cheurs d’or, des voleurs, des artistes dis­si­dents comme lui, un uni­ver­si­taire, des femmes… — en même temps qu’il visite les mer­veilles de son pays : les grottes de Mogao, la Grande Muraille, l’armée de terre cuite de Lin­tong, Dun­huang (lieu de nais­sance du boud­dhisme en Chine), la gorge aux dix mille Boud­dhas, les mon­tagnes tibé­taines… Autant de splen­deurs et de ren­contres qui petit à petit façonnent sa per­son­na­lité et le révèlent à lui-même. Remet­tant constam­ment sa foi en cause — le boud­dhisme fait le jeu des tyrans — Ma Jian achève son par­cours ini­tia­tique au Tibet, le pays des Lamas conquis par la Chine com­mu­niste. C’est la fin du voyage… Il décide de ren­trer à Pékin, s’étant trouvé enfin : 
Je suis sur le che­min du retour […] pour retour­ner parmi la foule sale de la ville. Mais je ne la crains plus. Elle ne peut plus m’atteindre main­te­nant. J’ai changé.

En poète inci­tant à l’évasion spi­ri­tuelle tan­dis qu’il rend compte de l’immensité fas­ci­nante de son pays, l’auteur guide le lecteur-voyageur de Pékin à Chengdu, du fleuve Jaune jusqu’à Lhassa. Loué par Gao Xing­jian, prix Nobel de lit­té­ra­ture en 2000, Ma Jian peut être consi­déré à juste titre comme un grand de la lit­té­ra­ture chi­noise et inter­na­tio­nale. Son écri­ture, épu­rée, pré­cise, simple, raf­fi­née, est d’une élé­gance et d’une jus­tesse rares. Il aide le lec­teur à sai­sir les choses et les êtres dans le détail comme seul un pho­to­graphe sait y par­ve­nir sur papier glacé. Tel Ulysse lors de son Odys­sée, Ma Jian nous emmène à tra­vers la Chine com­mu­niste, où couvent la lutte contre les intel­lec­tuels chi­nois, la répres­sion, mais aussi la rébel­lion de cer­tains artistes dont les idées petit à petit feront leur che­min jusqu’à la fameuse révolte étu­diante de 1989 sur la place Tien An Men. C’est en réa­lité à une véri­table prise de conscience que l’auteur invite le lec­teur, menant ainsi sa Révo­lu­tion cultu­relle :
La Chine est désor­mais une vieille boîte de hari­cots qui, après avoir été conser­vée dans l’obscurité pen­dant 40 ans, est prête à écla­ter de tous côtés.

Lecteurs voya­geurs, que vous soyez aven­tu­riers, tou­ristes ou barou­deurs, faites vos valises, aban­don­nez votre Guide du Rou­tard et par­tez ! Sui­vez Ma Jian sur ses che­mins de pous­sière rouge, voya­gez à tra­vers ses lignes et laissez-vous trans­por­ter par la beauté de cet ouvrage : chaque page devient un pay­sage, chaque cha­pitre ouvre les portes d’une contrée de Chine et de sa culture locale… chaque mot invite à l’évasion. Avec ce livre, c’est la Chine qui s’ouvre à vous !

vio­laine cherrier

   
 

Ma Jian, Che­mins de pous­sière rouge (tra­duit du chi­nois par Jean-Jacques Bre­tou), édi­tions de l’Aube coll. “Regards croi­sés”, jan­vier 2005, 452 p. — 25,60 €.

 
     

Leave a Comment

Filed under Essais / Documents / Biographies

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>