Le peintre néerlandais Demiak tente de dégager le caractère flagrant du désastre qui guette le monde. Il a aussi la puissance de métamorphoser les paysages cadavres en une vision « avènementielle » empreinte de sobriété fortement poétique. L’aspect mortifère est transformé selon un protocole précis qui débouche sur l’éclosion d’œuvres « paysagères » particulières. Diverses thématiques picturales et temporelles s’y synthétisent. Exit la déploration, la lamentation face à des tombeaux collectifs en marche.
L’artiste crée un chiasme afin de proposer une vision d’un temps à l’état pur au sein du cheminement de l’ « accident ». L’essentiel tient aux coloris très souvent diaphanes. Ils manifestent la solidarité profonde du coloris au paysage où se développe une esthétique plus de l’après que de l’avant. Le créateur fait donc toucher les douleurs du temps en ne se contentant pas d’en être un simple témoin. Formes et couleurs lévitent dans un paysage aux lumières de limbes ou de nuée.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Pour être honnête, ma fille. Elle doit aller à l’école et se lève à 7 heures. Mais ce qui vraiment me fait lever, c’est peindre évidemment.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je rêvais de peindre en ayant la liberté de pouvoir peindre ce que le voulais. Je rêvais aussi de célébrité, de gagner beaucoup d’argent et de devenir musicien.
A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai renoncé au succès. Je pense aujourd’hui que cela me gênerait plutôt. Pour l’argent, c’est plus difficile parce qu’on en a besoin pour pouvoir continuer à travailler mais ce n’est pas un objectif. J’ai abandonné la musique car il était devenu évident, dès que j’ai eu 16 ans, que je ne serais pas assez bon. Mais mon approche, mon énergie et mon désir de peinture, eux, n’ont pas changé.
D’où venez-vous ?
Si vous voulez dire littéralement, j’ai grandi dans un petit village dans l’est des Pays-Bas et je vis maintenant à La Haye.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Dureté au labeur et lutte constante. Et d’un autre côté : liberté, beauté et émotion.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Il existe plein de plaisirs dans ma vie : la peinture, ma femme, ma fille, la musique, le foot, la nourriture et les boissons.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Je pense que chacun est unique. J’ai toujours essayé de parler de ma propre voix sans que cela soit un but. Probablement que la même idée vient à différents êtres et en différents lieux au même moment.
Peut-être que les mêmes peintures sont créées par différents artistes au même moment. Dans notre ère de l’information généralisée, en peu de temps quelqu’un le remarquera. Cela doit-il nous empêcher de créer et décider d’abandonner ? Je pense que le mieux que je puisse faire est de me concentrer et que je « ponde mon propre œuf ».
Quelle est la première image qui vous interpella ?
La première image qui me vient à l’esprit est celle de mon grand-père peignant un homme et une femme dans un mystérieux bleu-vert. C’était dans sa maison.
Et votre première lecture ?
Je me souviens de quelques histories que ma mère me racontait. Mais c’est très possible que ce soit plus sa voix que les histories elles-mêmes qui retenait mon attention. Plus tard j’ai lu et relu l’histoire de deux frères qui inventaient un avion en forme d’œuf. Après cela, à 15 ans, j’étais totalement accaparé par les bandes-dessinées et à 20 ans par Dostoïevski.
Pourquoi votre attirances pour “la catastrophe” ?
En Hollande nous vivons dans un pays calme et la situation est confortable. Dans d’autres parties du monde, la nature possède une force dangereuse. Les ouragans et les tremblements de terre non seulement prouvent la force de la nature mais enseignent la résilience et l’urgence de la nécessité de la survie. Mes « demeures » sont des symboles de notre existence. Elles ont quelquefois le statut de symbole mais pour la plupart des gens elles sont juste des abris.
Nous devons changer notre mode de vie à cause du réchauffement de la planète et la diminution des ressources naturelles. Quand on considère la nature comme une puissance abstraite ou comme une simple occasion de promenade du dimanche il est difficile de comprendre la nécessité d’un changement de point de vue. Vous pourriez donc dire que mon travail est un mixe d’indolence et d’urgence.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Blues, jazz, musique minimaliste. Terry Riley, Philip Glass, Lou Harrison, Shostakovich, Tom Waits, Colin Stetson, Mingus, Dolphy, Coltrane, Leadbelly, Jimi Hendrix, …
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Le livre des Illusions” de Paul Auster, “L ‘Aleph et autres histories” de Borgès, « Les Cités invisibles » et « Le Baron Perché, d’Italo Calvino, « Labets » d’Ailanden, les histoires de Kafka, etc..
Quel film vous fait pleurer ?
« Koyaanisqatsi »
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
(Je vois quelqu’un d’autre. Peut-être celui que les autres voient mais ce n’est pas la même personne que je me représente dans ma tête. Quand je peins je deviens invisible à moi-même.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Les artistes que j’aime ou admire. Mais une fois j’ai écrit quelques mots à James Lee Burke pour lui montrer une image de mon exposition inspirée en partie par ses livres. Je ne suis pas sûr qu’il ait apprécié mes efforts mais il me renvoya un mail poli en réponse. Je n’ai pas de difficulté à montrer mes peintures car la peinture est ce que je fais mais pas l’écriture.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Les bayous de Louisiane, le lieu de naissance du jazz et du blues et la Toscane, le sol natal de la Renaissance.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Chaim Soutine, Velazquez, Hercules Seghers, Philips Koninck, R.B. Kitaj, Giuseppe Penone, Paul Auster, Italo Calvino, Gerard Reve, Márquez, Kafka, Nabokov, …
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Mes amis, un grand verre de vin, une bonne conversation et un bon repas.
Que défendez-vous ?
Financièrement je suis incapable de poursuivre des buts mais comme membre d’un jury local pour un prix artistique je défends quelques jeunes artistes.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
J’ai beaucoup de mal à la comprendre. Mieux peut-être si je remplace l’amour par l’art. Un artiste peut imposer son idée ou sa vision à des gens qui ne la veulent pas forcément ou au moins doivent s’y habituer. Et c’est comme quelque chose que l’artiste n’a pas parce que sa vision est par nature éphémère. Autrement, la phrase convient au monde de la politique.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Oui
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Que voulez-vous savoir ? Je peux continuer des heures mais je ne suis pas sûr que vos lecteurs seraient aussi ravis que moi si je procédais ainsi.
Présentation, entretien et traduction de l’anglais réalisé par jean-Paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 10 décembre 2015.