La poésie s’use à se faire attendre mais puisqu’elle est — selon Béatrice Libert — une « excellente protection médiatique », la Liégeoise la fait mousser comme une bière blonde parfois pour le « confort optimal » des âmes mais le plus souvent pour biostimuler les corps et ses pigments sensuels qui « soulagent les irritations de jour comme de nuit ».
La poétesse, sous son aspect élégant, reste une de ses irrégulières et irréguliers de la langue chers à la Belgique. De la flamme de l’amour de la poésie posée en buée, Béatrice Libert se téléguide dans le langage et son « cuir à peau d’âme ». L’auteur fait du poème un médicament tout usage dont elle abuse. La parcimonie n’est pas dans son style. Certes, ses médications doivent être portées loin de la vue des enfants car, sous couvert de pure laine vierge, l’écriture cultive certaines marges. Mais l’essentiel est sauf : une telle poésie « aide à prévenir de la récession mentale ».
Béatrice Libert reste toujours pudique et drôle. Profonde tout autant. Et aussi, impénétrable mais rayonnante dans son obsidienne. Libre de ses propos, habitée d’une certaine solitude, elle ne cultive jamais de pose sinon au nom de l’humour. Celui-ci est la politesse qui cache l’inquiétude et dégage des ombres. Mais il permet aussi de se moquer des poètes à l’encan et d’ouvrir le genre à des « problaimes » par une « matelamathématique » de la versification qui se termine ainsi : « Composez un recueil complet de 60 poèmes égaux dont la base est le double de la hauteur ».
Mettant ses mots « à lent vers », la poétesse est toujours plus jeune (même les jours pluvieux). Façonnée de secrets, l’œuvre s’égare sans cesse pour transformer les mots « en silences mouvants » qui se retrouvent parfois entre taies et ongles. Béatrice Libert aime le corps des mots car elle ne craint ni son indifférence, ni son infidélité notoire. Et, au besoin, la poétesse lui fait des enfants dans le dos. C’est pourquoi elle caresse les mots de face, de dos, « de nuit, « par la serrure, par le bout de la lorgnette, par erreur, par surprise ». La créatrice accepte d’en être la négresse blanche et l’esclave consentante. Pour notre plus grand plaisir. Chaque recueil de la Liégeoise est une retrouvaille.
jean-paul gavard-perret
Béatrice Libert, A consommer de préférence avant la date indiquée au verso, Boumboumtralala éditions, Hors Série de La Bafouille Incontinente, Liège, 2015 — 5, 00 €.