Ce cycle s’ouvre sur un nouvel univers, une nouvelle incartade dans le monde magique, fascinant des sorcières. Jean Dufaux entraîne son lecteur sur de nouveaux chemins, à la rencontre des origines de la série. Il fait de Complainte des landes perdues une errance magnifique dans un cadre presque mythologique, empruntant aux légendes et aux récits épiques les grandes lignes de son histoire, qu’il revisite comme seul il sait le faire. Il raconte une belle histoire où le bien et le mal continuent, comme de toute éternité, à se combattre, mais aussi à se confondre et à s’entremêler, faisant fi d’un manichéisme qui n’existe, en fait, que dans les fictions basiques. Il introduit, toutefois, dans ce tome un ton plus poétique que dans les précédents.
Pour gagner une journée de marche vers le château du roi Brendam, Vivien et Gus, son serviteur, s’engagent dans la forêt du royaume de Tête noire, dans des marécages. Une flèche traverse la cuisse du jeune homme. Son serviteur l’achève alors que deux hommes arrivent. Le chef poignarde Gus pour ne pas laisser de témoins. Les deux individus repartent satisfaits, laissant à la nature le soin de faire disparaître les corps. Un homme et une jeune femme ont été témoins du meurtre. Parce que Vivien est trop beau pour mourir aussi misérablement, elle lui insuffle la vie et le fait emmener pour le soigner. En voie de rétablissement, Vivien raconte à Oriane, sa bienfaitrice, qu’il est le fils du seigneur des Aguries et qu’il doit apporter une amulette, remise par son père, au roi Brendam qui la reconnaîtra et lui servira d’introduction à la cour.
Brendam part le plus souvent possible pour de grandes chasses, laissant à Jamaniel, la reine, la gouvernance. Celle-ci veut que son fils, Elgar, accède au trône. Mais c’est lui qui a tué Gus. Vivien repart pour un destin incertain. Son arrivée va faire ressurgir des événements dramatiques du passé, un passé qui fait de Vivien l’homme à abattre à tout prix…
C’est Béatrice Tillier qui assure le graphisme de ce cycle avec ses traits précis, ses décors réalistes et ses paysages grandioses. Cependant, ce qui retient surtout l’attention, ce sont ses personnages et leur expressivité tant gestuelle que dans les regards où elle sait si bien faire passer toutes les émotions. Sa mise en couleurs est absolument remarquable. Avec cette illustratrice qui se fait trop rare, mais la beauté de ses planches demande un tel travail, la série se hisse à un degré supérieur.
Avec Tête noire, ce nouveau cycle s’ouvre de très belle façon et fait attendre le prochain album, Inferno, avec impatience.
serge perraud
Jean Dufaux (scénario) & Béatrice Tillier (dessin et couleurs), Complainte des landes perdues, Cycle III — Les Sorcières, t. 1: “Tête noire”, Dargaud, octobre 2015, 56 p. – 13,99 €.