Frank Smith l’héautontimorouménos : la poésie n’est pas forcément une solution
Frank Smith poursuit sa route « souterienne ». D’où sa défense et illustration d’une littérature qui débusque des corps inédits par celui d’un personnage. En l’occurrence ici, le Bartleby, le héros « sans visage que émacié et creusé », convulsif et vulnérable de Melville. Mais son « lecteur » va ici plus loin. Moins par formules que par propositions. Celles-ci semblent se parfois se retourner comme un gant mais avec ironie et renforcement de sens.
Pour Frank Smith, imperturbable iconoclaste Bartleby est l’exemple même du héros qui va et qui ne va pas bien à la fois. Mais l’auteur du Surplis le libère du récit originel qui l’englue par un jeu entre un « B » et Bartleby lui-même. Le tout en une série de dépositions où se perdent les assises. Il ne sera donc plus question de lois…
Dès lors, le héros — ou son ersatz — flotte étranger aux spéculations et commentaires. Usager des mots les plus simples, « il ne fait pas sans », il les revivifie jusqu’au silence que Melville ne cassera pratiquement plus. Quant à Smith, il propose non seulement une lecture oblique d’un livre et d’un héros qui devient son double idéal mais une approche postmoderne de ce que la poésie propose, espère et ne peut plus espérer.
Peut-être que, comme Bartleby, le modèle, elle est allée au bout des hommes, au bout d’elle-même et que ses fomenteurs ont poussé le langage à la fois jusqu’à un aboutissement et au silence. Bartleby est donc le modèle-type et l’ « héautontimorouménos » (Baudelaire) du poète et général et de Frank Smith lui-même : plaie et bourreau, déboussolé qui chamboule le monde et qui en meurt (ce qu’on ne souhaite pas à l’auteur).
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jean-paul gavard-perret
Frank Smith, Fonctions Bartleby bref traité d’investigations poétiques, Editions Le Feu Sacré, coll. les feux follets 2015.