Constitué de huit monologues, des Prénoms qui s’échelonnent de 1973 à 2015, ainsi que des Premiers mots (1973), La Comédie intime illustre comment chacun de nous « est une socété » et comment chaque être porte en lui une « comédie » que « Dante a voulue divine, Balzac humaine, Jacques Villeglé urbaine, et Bernard Noël lui-même intime ou mentale ».
Ce dernier devient le metteur en ondes des voix qui le traversent et qui prennent, chez ses personnages scénarisés, divers types de « persona » : du je au ils, en traversant toute la gamme des pronoms personnels. Ils s’accompagnent aussi de tout un aréopage de présences : Gramsci, Anna Magnani, Bataille, Mallarmé, Nerval, André Masson, etc.. Elles forment le « personnel » du livre.
La question des modalités des pronoms pour et dans le traitement de la fiction montre le degré d’adhérence du poète au réel comme à son négatif. Ces pronoms — pour reprendre un des premiers titres de l’auteur — deviennent les Extraits du corps. Ils lui donnent une forme dont l’unité et la structure se dissolvent. Cette pluralité d’identifications plus ou moins définies ou indéfinies est un abîme de sens.
Le corps s’y trouve déconstruit ou dissout pour adhérer de manière plus adéquate, sinon à sa vérité, du moins à sa réalité. D’où la dilatation et l’assemblage d’un codage générique. Lequel prend une forme plurielle en ce qui tient de la prose et de la poésie et de ce que ces deux genres « entendent ».
En rendant par ses textes un corps à entrées multiples, plus que « pâtée », celui-ci devient multidimensionnel, indéterminé, critique. Il s’éparpille dans l’espace du texte entre la douleur du monde et l’histoire du langage. La (dis)solution du corps dans le corps du texte (comme dans celui d’un réel sans forme ni direction univoque) montre que ces deux corps (organique et textuel) s’interpénètrent, s’informent, s’étalent en un geste indéfini, sans genre.
L’espace est le temps, l’écriture est le corps . Dès lors, au squelette textuel font place ses fractures. Elles traversent son éboulement. Le moi devient « une purée de viande » écrit Noël – ce qui ne saurait que ravir Beckett et Artaud.
jean-paul gavard-perret
Bernard Noël, La Comédie intime, P.O.L. éditeur, Paris, 2015, 432 p. - 22, 50 €.