Jamais loin des étoiles (du Sud), Christiane Tricoit vit pourtant dans le réel. Depuis des années, à travers Passage d’encres (revue et éditions), elle ne cesse de faire avancer les lecteurs en une communauté avec le monde et ses voix méconnues. Elle a contribué à l’éclosion et à la diffusion de nombreux talents littéraires et artistiques. Sans elle, le monde de la culture ne serait pas ce qu’il est. Néanmoins, Christiane Tricoit cultive une humilité rare dans un univers où l’ego reste une maladie endémique. Mais l’auteure de Gabão et de Route de S n’attend la reconnaissance de personne.
Photo de Martine Rousseau
À 70 ans (on peut le dire puisqu’elle le précise dans son interview), elle poursuit son travail d’éditrice, laissant (trop) souvent sa propre parole en retrait. Un jour viendra où l’apport majeur de Passage d’encres sera sans doute reconnu. Des mystères de la mangrove jusqu’au moulin au bord de la Sarre, en passant par Paris et Romainville, l’éditrice défend et illustre l’exigence littéraire et plastique non sans un certain sens du rite pour nous donner « l’envie d’être en vie » (Beckett).
Pour s’en convaincre consulter le site des éditions : www.inks-passagedencres.fr
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’envie de jardiner tôt – pas toujours possible car je travaille tard.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
J’ai essayé d’en réaliser une partie.
A quoi avez-vous renoncé ?
À la musique, arrêtée après notre dernier déménagement.
D’où venez-vous ?
De la forêt équatoriale, où j’ai vécu jusqu’à six ans.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
La liberté, l’action (père) // La méfiance des apparences, l’angoisse permanente (mère).
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Lire tous les jours la presse papier et en ligne.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres éditeurs et directeurs de revue ?
Le goût des chemins de traverse. On est heureusement quelques uns à l’avoir… Mais hors des autoroutes point de salut, comme je le dis souvent.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
À 3 ans, des masques accrochés à des croix sur des tombes de missionnaires en forêt auxquels mon père m’interdit de toucher, attitude assez rare alors chez les Européens, certains, et non des moindres, revendant cher des objets volés ou achetés pour rien à leur retour en France.
Et votre première lecture ?
Le catalogue Manufrance (feuilleté), des albums du Père Castor, des BD, Les Contes de Perrault (dessins de G. Doré), Les Malheurs de Sophie, le tome 2 du Monde de Narnia (Rouge et Or).
Pourquoi publiez-vous si peu votre propre travail poétique et photographique ?
J’ai écrit pas mal de textes, dessiné, pris beaucoup de photos, etc., mais, en tant qu’éditrice, il était normal de privilégier les auteurs et les artistes, même en intervenant ponctuellement dans la revue. J’ai publié quelques livres avec Marc Vernier et Philippe Clerc. Je travaille sur des textes qui devraient faire un livre si je suis encore là et pas mal sur le site www.inks-passagedencres.fr
Quelles musiques écoutez-vous ?
Selon l’humeur : musique médiévale, baroque… jazz ; Guthrie, Dylan… ; musiques du monde ; chanson française (hors les trémolos de la « Star Ac’ » et autres). J’aime bien Emily Loizeau, Sudden Dreams, de Sophie Hunger.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Par ex. Le K, de Buzzati.
Quel film vous a fait pleurer ?
Yol, la permission, de Yilmaz Güney.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une femme de 70 ans.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je ne me suis jamais interdit d’écrire à qui que ce soit, quelle que soit sa position.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
NYC, définitivement pour moi.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Réponse impossible…
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Aucune idée.
Que défendez-vous ?
L’inverse de la société actuelle, hypernarcissique (selfies, etc.) et repliée sur elle-même.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Rien.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Plutôt drôle. W.A. ne l’est pas toujours vu qu’il se répète beaucoup.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Je ne sais pas.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, 20 novembre 2015.
Cet entretien exprime avec une grande concision la pudeur l’humour et la passion de Christiane qui est une editrice fidele attentive et audacieuse..on l’aime pour son abscence totale de conformisme et son retrait des mondanités parisiennes et des conflits sanglants d ‘egos antagonistes.. On l’aime pour sa chaleur entrainante et sa bienveillance incitative. HASTA LUEGO .