« Comment savoir quand nos sens doivent se reposer ? À partir de quand en a-t-on marre de voir, d’entendre, de sentir ? » : Telles sont les questions sur lesquelles s’arriment les textes du livre au titre digne de Michaux. Mais même lorsque le mal est fait, il est toujours possible de rebondir : « Le génie, l’amour, la maladie, la nuit et la mer, sont des façons de redémarrer le système ». Et Reymond l’active là où le poète préfère la note au texte.
Seule la première fracture l’atteint par un étoilement de la cassure qu’elle provoque, quitte à couper une partie du « sens ». Et, après tout, qu’importe ? Nulle direction à prévoir, il s’agit de réagir à l’instinct avec le peu qu’on sait et que le temps accumule à mesure qu’il accélère jusqu’au moment où sa sédimentation est emportée avec le vivant.
Celui qui se dit dans l’impuissance d’approfondir un sujet ou de permettre au discours de se poursuivre fait mieux. Reymond évite toute « suite ». Car cela deviendrait une manière de se trahir ou de tricher. Le poète préfère la pensée vacante ou plutôt en vacation. Celle-ci n’a rien de « farcseque » (Montaigne) mais par elle l’obscur crée la lumière. Elle permet de voir passer le monde et offre la possibilité de regarder le regard jusqu’à ce qu’il perdre sa « silhouette » : il n’est plus qu’une flèche. Et qu’importe si Le Livre (cher à Jabès) ne s’écrira que dans ses marges. Comment pourrait-il en être autrement ?
jean-paul gavard-perret
Fabrice Reymond, A l’opéra derrière un poteau, Post-éditions, collection Faux raccord, , 2015.