Street Voice — paroles de l’ombre

Dans ce livre sont ras­sem­blés des témoi­gnages d’exclus du rêve amé­ri­cain. A Bal­ti­more, ils ont leur jour­nal, Street voice

Ici, la parole est à ceux qui n’y ont pas droit. Clo­dos, toxi­cos, chô­meurs, alcoo­liques, exclus de Bal­ti­more (Mary­land), ceux qui sont dans la rue avec pas la moindre petite chance d’en sor­tir. Voici leur jour­nal, Street voice, un quatre-pages tri­mes­triel qui s’est formé au début des années 90 à par­tir d’un groupe de dis­cus­sion de toxi­co­manes séro­po­si­tifs. Le seul lieu où aujourd’hui, dans cette cité du déses­poir comp­tant 650 000 habi­tants et plus de fils bar­be­lés et d’immeubles aban­don­nés qu’au Kosovo, il devient pos­sible pour des “indi­vi­dua­li­tés soli­taires” de s’exprimer sur leur quo­ti­dien tota­le­ment hors sys­tème. Les textes sont courts, rien de bidon là-dedans, que du vrai vécu de ghetto. Le cau­che­mar de la chute, cette “pour­ri­ture cachée sous les paillettes du rêve amé­ri­cain”, y est décliné sous tous ses instantanés.

Les sta­tis­tiques sont sans appel. Taux d’homicides, d’admission aux urgences pour over­dose, espé­rance de vie d’un homme noir, Bal­ti­more pour­rait figu­rer dans le livre des records. En face de ces chiffres froids, enfin du vivant : les gens. On leur a tout pro­mis mais on leur a tel­le­ment menti qu’ils ne croient plus en rien, et ils le disent. Le long passé de géné­ro­sité répres­sive et d’avarice des ser­vices sociaux amé­ri­cains est pointé par­tout, leur dureté décou­ra­geante stig­ma­ti­sée. Mais une sagesse par­vient à émer­ger peu à peu des récits, une sorte de savoir-survivre dans la rue avec des règles expli­quées avec ten­dresse et détails aux col­lègues de misère, mil­liers de lec­teurs ano­nymes qui vont trou­ver leur exem­plaire gra­tuit dans les agences pour sans-abris, les soupes popu­laires, les bureaux d’aide sociale et même les pri­sons. Ce qu’il faut faire quand la mort s’installe, et ce qu’il faut évi­ter, par exemple la bringue avec Dark­man dont cer­tains ne reviennent jamais — des illus­tra­tions accom­pagnent les textes. Des témoi­gnages uniques et ter­ribles. Et pour ter­mi­ner, la conclu­sion d’Afrikandreamer, qui s’impose, adres­sée à Mr. Bush :
La guerre que vous menez n’est pas la bonne. Celle que vous devriez mener est à votre porte…Bien plus près, juste devant chez vous.

Street voice en est à son 80e numéro. Longue vie à ses rédacteurs.

c. d’orgeval

   
 

Col­lec­tif, Street Voice — paroles de l’ombre (tra­duit par Gaëlle Erkens),Verticales coll. “Mini­males”, octobre 2003, 176 p. — 8,50 €.

 
     

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