L’aventure plastique de Koka Ramishvili est complexe : elle fait bouger les socles des genres que l’artiste aborde pour fracturer par contre-coup l’image de la société dont il défait les « coïncidences » d’apparat et d’apparence. Le créateur mixe avec humour politique, religion et érotisme, l’exil et les peurs. Pour lui, tout paradis est de cendres. La vie comme l’art ne peut se vivre et’exister que par éclaircies ajoutées les unes aux autres sans pour autant créer un barrage à l’inéluctable de la fuite du temps et de la dégradation des rêves.
Des tsunamis plastiques surgit néanmoins une beauté sourde. Par ses déconstructions entre catastrophes et cadastres, Ramishvili propose diverses équivalences. Pas question chez lui de fabriquer « du » fantasme : toute une réflexion est en action sur la question de regard, du réel, du passé, du devenir et du paysage en des substrats parfois d’une épaisseur abyssale.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La réalisation de ce que j’ai pu découvrir de nouveau dans mon travail.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Certains se sont réalisés. Mais de façon étrange.
A quoi avez-vous renoncé ?
Quand j’y réfléchis, je pense que ce que j’ai abandonné est toujours là… Mais selon une autre forme.
D’où venez-vous ?
Géographiquement je suis né en Georgie à Tbilissi. Je suis né dans une famille protestante, ma mère était estonienne et mon père géorgien. A la maison, nous parlions russe. Parce que mon père ne connaissait pas l’estonien et ma mère le géorgien. C’était plutôt paradoxal parce que le régime bolchevique et soviétique avait tué mon grand-père qui était colonel de l’armée indépendante géorgienne et que le régime nous a spoliés de notre maison et de tous nos biens.
Quelle est la première image dont vous vous souvenez ?
Quand j’avais 12–13 ans, il y avait une boutique de cordonnier près de mon école. Il vendait des photographies illégales en noir et blanc de rock-stars ainsi que des photographies pornographiques et érotiques sur des cartes postales imprimées sur du vieux papier noir et blanc. Ces images sont toujours dans mon esprit.
Et votre premier livre ?
« Huckelberry Finn ».
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Ma vision qui influence aussi par ma méthode de création d’image. Je me considère comme un « outsider »et cela est un moyen très utile pour être libre dans mes tirages. C’est quelque chose que vous disiez lorsque vous avez écrit que mes travaux n’étaient pas des clones du réel.
Où travaillez-vous et comment ?
Je travaille chez moi. Une partie est devenue mon atelier. A cause de mon « immigration », je n’avais pas la possibilité de louer un grand atelier et en plus j’aime travailler chez moi, j’y trouve plus de confort. Mes travaux et mon atelier s’adaptent les uns aux autres. Ce fut une expérience aux résultats intéressants. Quatre choses sont importantes pour moi : le contexte, l’image, l’espace et les visiteurs. Pour mes images, j’ai utilisé beaucoup la photographie et la vidéo mais je pratiquais peu la postproduction (l’impression). Maintenant, je recommence à travailler à nouveau des images photographiques et j’espère bientôt présenter mon nouveau projet. Pour faire simple, je suis intéressé par des situations qui sont à la fois paradoxales et inter-connectibles.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Au président…
Quelles musiques écoutez-vous ?
Harold Budd, Robin Guthrie, Hector Zazou, Brian Eno, Arvo Pärt, Boards Of Canada, Ryuichi Sakamoto, Alva Noto, Max Richter…. J’aime beaucoup la musique !
Quel livre aimez-vous relire ?
« La Peste », d’Albert Camus.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Bonne question. Moi-même et le temps qui passe.
Quel lieu ou lieu a valeur de mythe pour vous ?
La question est : quel mythe ? Il y a différents types de mythes pour moi. Mais si je veux être précis sur les termes ville et lieu, je dirai Syracuse et la Sicile.
De quel artiste vous sentez-vous le plus proche ?
David Claerbout… peut-être.
Quel film vous fait pleurer ?
Beaucoup de films me font pleurer. Je ne suis pas certain que ce soit les meilleurs. Certains sont quelconques. Mais je pleure.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
La lentille Leica pour appareil photographique « APO-Summicon 50mm ASPH »
Que pensez-vous de la phrase de Lacan : « L’amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » ?
Elle me rend muet…
Et celle de Woody Allen « La réponse est oui mais quelle était la question ? »
La question était : Non ?
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Comment avez-vous voyagé ? Et qu’aimez-vous dans le voyage ? J’aime voyager en avion, j’aime les moments où je ne suis ni ici ni nulle part. Et cette impression, je ne la ressens qu’en avion.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 16 novembre 2015.
Traduction de l’entretien : Lara gavard-perret