Vanda Miksic, Sels

Portrait de la poé­tesse croate en « petite chinoise »

« Je m’assieds dans ma vie / et tombe à tra­vers » écrit Vanda Mik­sic dans Sels. Mais cette chute est un levier. A l’appel de l’autre comme du réel, la poé­tesse s’arque et fait le pont : « le choix est res­treint » et l’artiste de pré­ci­ser : « soit la colonne ver­té­brale cédera / et le pont s’écroulera / soit je me balan­ce­rai avec sou­plesse / dans le monde à l’envers ». D’autant que la vie elle-même est sou­vent cul par-dessus tête. Timide et inso­lente, Vanda Mik­sic ose rien et tout. Elle se cherche comme elle cherche le monde ou son sens.
Sels  devient l’ode exsangue du lyrisme afin de sug­gé­rer la radi­ca­lité du réel. Le tout par une série de seuils — vers l’ouverture ou le repli -, de deuils aussi qui n’en finissent pas de finir parce que la perte ne cesse de faire œuvre tout au long du par­cours dont l’auteure refuse de ne pro­duire que des reliques. Elle entre­tient avec celles du corps des rap­ports dépla­cés, inver­sés. Les mor­ceaux d’être que l’écriture exhume à tra­vers ses cou­pures (cris mur­mu­rés) défi­nissent des creux, des vides au sein de l’espace de la page.

Chaque poème prend valeur d’aura au sein d’une prise de vue rasante ou sur un regard sur une boîte vide : « et la ques­tion qui revient obs­ti­né­ment / pourrais-je y tenir / me pelo­ton­ner assez / effi­ca­ce­ment pour rem­plir / tous les inter­stices / de l’attente / être une petite chi­noise / replier les jambes par-dessus mon dos / par-dessus ma tête deve­nir escar­got ». Demeurent des mou­ve­ments inci­sifs dans les fron­tières de l’être et du monde. L’auteure retourne l’image contre elle-même, atteint la limite qui ne peut se fran­chir.
Vanda Mik­sic montre, sinon de quoi la vie est faite, du moins ce qu’il en retourne en son sein. Elle n’a même plus besoin de bal­bu­tier les mots de passe : dépres­sion, creux, extase, transe. Ne résonne que sa voix proche et loin­taine qui dit “viens”. Mais il est trop tard : « si un ins­tant plus tôt j’avais/ éteint la lampe et plongé / la tête dans l’oreiller le noir nous aurait / enve­lop­pés pai­si­ble­ment j’aurais posé / les mains sur mon ventre sur toi et glissé / par le tobog­gan de tes mou­ve­ments infimes / dans le som­meil mais le noir est arrivé ». Ce qui n’empêche pas de fouiller encore là où les désirs pour­raient déri­ver vers des lieux inconnus.

jean-paul gavard-perret

Vanda Mik­sic, Sels, tra­duc­tion Marina Kra­mer & Bran­kica Radic, Gale­rie Librai­rie L’Ollave, 2015, 64 p. - 13,00 €.

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