Jean-Philippe Stassen, Les enfants

J–P Stas­sen est désor­mais connu dans le petit monde de la BD, et au-delà, pour ses livres sur l’Afrique. Avec Les Enfants, il nous livre un album-reportage…

La blonde et sué­doise Anika, Mon­gol, le bel Angel, Black Domino le van­tard, le Belge et Néfer­titi sont quelques-uns des per­son­nages qui habitent cette his­toire qui n’en est pas une. Cha­cun à leur manière, ils sont carac­té­ris­tiques de cette Afrique sub­sa­ha­rienne du début du XIXe siècle. Anika repré­sente toute la bonne volonté — et la mau­vaise conscience — de l’occident face à ce qui reste de l’Afrique. Elle tente d’aider, de sou­te­nir, de pro­té­ger, mais elle est débor­dée par une culture, des réflexes, des enjeux qu’elle ne com­prend pas. Black Domino est un mytho­mane de pre­mière qui s’impose auprès de ses petits cama­rades en pré­ten­dant qu’il a émi­gré au Canada, et qu’il « connaît » les femmes blanches. Le Belge est un blanc pré­sent depuis tou­jours, qui a ses accoin­tances avec les auto­ri­tés locales et aime à se sen­tir mécène. Néfer­titi, le tra­vesti du coin res­sasse sa mélan­co­lie dans le whisky. Quant à Mon­gol, fil conduc­teur de cet album, il semble inca­pable de com­mu­ni­quer avec les hommes, mais parle aux ani­maux qui l’aident à décryp­ter les faux-semblants qui l’entourent.

L’his­toire qui n’en est pas une, c’est une tranche de vie d’un vil­lage cerné par la guerre civile, quelque part en Afrique. Les per­son­nages se débattent pour vivre, pour exis­ter en atten­dant ceux qui vont arri­ver. Le regard que portent sur l’Afrique noire les occi­den­taux qui l’ont véri­ta­ble­ment connue (c’est-à-dire y ayant habité, vécu pen­dant plu­sieurs années) est sou­vent éton­ne­ment sévère, et Jean-Philippe Stas­sen ne déroge pas à la règle. Dans cet album, tous sont épin­glés : blancs comme noirs, adultes comme enfants. Le trai­te­ment est d’autant plus réa­liste que l’on voit les évé­ne­ments à tra­vers les yeux des enfants dont s’occupe Anika : ce sont eux qui parlent cor­rec­te­ment, alors que les blancs emploient un sabir à la limite du com­pré­hen­sible. Cet effet nous place d’emblée dans l’univers de ces enfants et nous per­met de mieux nous iden­ti­fier et d’éviter tout angé­lisme vis-à-vis d’eux. Ils ne sont ni meilleurs, ni pire que d’autres, mais ils cumulent les défauts de ceux qui ne peuvent qu’attendre dans l’angoisse.

Stas­sen nous montre les enfants tels qu’ils sont réel­le­ment. Or comme le conclut le mari d’Anika : « Depuis tou­jours, autant que l’innocence, la méchan­ceté est natu­relle à ces enfants. » Cela donne lieu à des scènes d’une rare vio­lence, et d’un triste réa­lisme. L’autre point dou­lou­reux sur lequel appuie l’auteur est l’injustice ordi­naire que subissent ceux qui sont dif­fé­rents. Ainsi, le petit Mon­gol est-il le souffre-douleur des autres enfants. Même le gen­tille Anika est « moins juste » avec lui qu’avec Angel par exemple, qui est si beau (mais tel­le­ment hypo­crite !) Cet album de Stas­sen est effrayant car c’est un repor­tage sur une réa­lité que nous pour­rions igno­rer, et qui montre la cruauté et la bêtise des hommes, de tous les hommes. Super­be­ment des­siné et mis en cou­leur, “Les Enfants” n’est pas une BD pour les jours de pluie ; et il serait un peu lâche de pas­ser à côté les jours de beau soleil…

Mar­tin Grillard

Jean-Philippe Stas­sen, Les enfants, Dupuis coll. “Aire Libre”, 2004, 80 p.- 12,94 €.

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