Chaque décennie est l’occasion de redécouvrir l’argot. Les dictionnaires sont à la mode. Voici celui de Robert Gordienne
Ce Dictionnaire argotique, sous-titré des trucs, des bidules et des machins se définit par lui-même. C’est l’ultime volet à de nombreux dictionnaires réalisés par Robert Gordienne après le Dictionnaire des mots qu’on dit gros, de l’injure et du dénigrement et le Dictionnaire de l’éloge, de la flatterie et de l’éloquence.
Il commence, on s’en doute, par la lettre A. A comme Adultère — mot qui, comme on peut le lire dans La Lettre écarlate d’Hawthorne, désigne l’ecstasy, à l’instar de l’Adam. Il s’achève quelque six cent cinquante pages plus tard par Zozoterie que l’on peut retrouver dans une citation de Rebatet.
Évidemment, on y plonge dans l’argot des années cinquante, soixante, quand on allait chez ma tante en tortillard tirer 3 francs 6 sous d’un barbouillage histoire d’aller faire la bringue en buvant un bon pousse-au-crime et de rencontrer des filles qui font la verdure.
Cet ouvrage synthétique puise l’essentiel de sa matière dans l’argot des romans populaires et policiers. Ange Bastiani et Albert Simonin sont, bien entendu, aux premières loges. Mais la chanson n’est pas délaissée : le répertoire de Pierre Perret a sa place. Molière aussi, du reste…
Véritable travail d’orfèvre, ce dico est un livre de chevet ; il s’ouvre au hasard pour y découvrir quelques petits bijoux au gré de son humeur et de ses errements. On y côtoie des termes connus, on en déniche d’autres, étrangers à son répertoire personnel — car chacun porte en soi son propre lexique argotique. On pourra déplorer des absences : on ne trouvera pas le Zigue, cher à Léo Malet. Tant pis pour lui. Mais le Jambonnesque de Frédéric Dard, lui, est bien là.
Voilà un livre qui nous donne l’occasion d’aller fouiller dans notre bibliothèque — ou celle de notre quartier -, de rendre visite à notre libraire à la recherche d’un texte ou d’un auteur qu’on aurait oublié de lire et que ce Dictionnaire argotique nous aurait remémoré. L’argot évolue sans cesse et il est aujourd’hui bien loin de celui d’Eugène Sue et des Mystères de Paris, plus loin encore de celui des Misérables de Victor Hugo. Soyons reconnaissants à Robert Gordienne d’avoir, ici, su conserver un instant figé d’un aspect particulier de notre langue. Pour ne pas oublier. Pour notre plus grand plaisir.
Ce dictionnaire, quand il aura quitté notre table de nuit, trouvera sa place auprès d’autres dictionnaires qui sont plus que jamais des ouvrages à la mode comme peuvent en témoigner Le Dictionnaire des Littératures Policières dirigé par Claude Mesplède, Le Dictionnaire du Cinéma populaire français ou 500 façons d’éliminer son prochain. On en tire la même jouissance qu’à la lecture d’un dictionnaire du vieux français, des synonymes ou même d’un Gaffiot !
j. vedrenne
Robert Gordienne, Dictionnaire argotique, Éditions Hors Commerce coll. “Hors Texte”, décembre 2004, 652 p. — 23,90 €. |
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