La littérature des comme si
A une époque où la dictée est censée faire retour pour nos chères têtes jadis blondes (Ah ! Morano quand tu nous tiens…), Marie-Hélène Lafon pourra facilement devenir l’avatar postmodernes des Guéhenno et autres Henri Bordeaux qui ont empâté notre enfance. Son côté buffet campagnard plaît. L’écriture (ou ce qui en tient lieu) s’enracine à nouveau dans un terroir qu’on croyait perdu et une littérature du même acabit. Existe chez l’auteure de la dentelle et du crochet faits mains. Cela plaît aux urbains d’un âge où la nostalgie tente d’être encore ce qu’elle était. Ils font retour à un jardin de curiosité là où la romancière, en rapprochant d’une humanité, les en éloigne.
Bécassine n’est jamais loin : à force de jouer les innocentes ou les ravies de la crèche, elle tombe dedans. Nous avec ? Souvent, semble-t-il : plutôt que d’être agacés par la simplicité de la formule, il n’est pas jusqu’à un François Busnel de faire à chaque saison l’éloge du suranné. Il prend pour « supremus » poétique ce qui est l’équivalent littéraire des sitcom : l’écriture des comme si.
Marie-Hélène Lafon renoue avec ce qu’on nommait ouvrages de dames tout en faisant croire que ses formules ont des couilles (avec toute la connotation taurine et agricole dont on peut farcir cette expression). De fait, la romancière ne cesse de mettre des formes. Elle fait croire que ses « chantiers » sont enchantés. Et c’est bien là le problème. Sous prétexte de faire pénétrer dans son atelier, la prêtresse aux bas bleus (et parfois rouges) n’a rien d’une créatrice lynchienne. Croyant pulvériser les frontières du langage, elle mouline du poncif avec un hachoir à mains dans l’évocation (plus ou moins hagiographique) d’une époque où l’on ignorait le Moulinex. Elle fait retour à une campagne « vraie » où l’homme sortait le barbecue et la femme nettoyait la grille.
Par une version à elle du cru et du cuit, l’auteure se veut la Claude Lévi-Strauss du pauvre en expliquant le passage de la nature à la culture dans les prémices de la socialisation postindustriel. Afin d’y parvenir, la littérature devient poule au pot. Et ce, même si, dans la hiérarchie des viandes, celle-ci est loin derrière la côte de bœuf. Bref, l’auteure non seulement mitonne des recettes de grand-mères mais elle nous explique dans Chantiers les secrets d’une littérature molle qu’on peut dévorer sans difficulté même si l’on n’a plus de dents.
jean-paul gavard-perret
Marie-Hélène Lafon, Chantiers, Editions des Busclats, Paris, 2015.