Elizabeth Hardwick, Herman Melville

Une bio­gra­phie pas­sion­nante qui donne à voir le vrai Mel­ville au tra­vers des héros de ses romans

Moby Dick bien sûr, mais aussi ce qui y mène, ce qui en découle : l’œuvre entière de Mel­ville et sa vie sont conju­guées ici par la roman­cière et cri­tique, renom­mée dans le monde anglo­phone, Eli­za­beth Hard­wick. Le por­trait d’une œuvre à tra­vers celui d’un homme dont le par­cours fut en lui-même un roman.

 

Nais­sance à New York en 1819, mort à New York en 1891. Entre les deux, fresque chro­no­lo­gique. Tour­mentes intimes, grands voyages, aven­tures en mer, explo­ra­tions d’univers incon­nus, géné­ro­sité des idées, achar­ne­ment et rage, on est en plein roman­tisme. Après le nau­frage que fut son enfance d’Américain bien né et vite orphe­lin de père, pre­mier embar­que­ment de Mel­ville à 20 ans comme gar­çon de cabine sur un navire mar­chand. L’océan est une fuite, à des milles du chaos fami­lial, l’engloutissement néces­saire en l’absence de toute pers­pec­tive pro­fes­sion­nelle. Retour pour repar­tir. Avant, écrire Red­burn, roman auto­bio­gra­phique émou­vant et per­son­nel, où sont évo­qués le pro­blème racial, l’homosexualité, thème si embar­ras­sant que l’auteur pré­fère désa­vouer son oeuvre. Mel­ville s’enrôle sur un balei­nier pour quatre ans. Simple mate­lot, il pré­ten­dra que cette épou­van­table école de la souf­france aura été son Yale à lui. Tant de misère à bord qu’il déserte au large des Iles Marquises.

Taïpi est le roman véri­dique, écrit à la pre­mière per­sonne, qui relate son séjour sur une île mer­veilleuse peu­plée d’envoûtantes naïades des mers du sud mais aussi d’indigènes can­ni­bales. Une cer­taine renom­mée salue sa publi­ca­tion et celle des romans qui suivent, dans la même veine, au rythme d’un tous les six mois. Tâche­ron de l’écriture, Mel­ville a 32 ans, cinq romans qui ne quittent pas la mer, une femme, un fils, des arbres, des champs, des dettes, des suc­cès, des échecs : il ne songe qu’à se lais­ser hap­per par les eaux tour­billon­nantes où croise Moby Dick. Appelez-moi Isma­hel. L’écrivain est au paroxysme de sa vie paral­lèle, au bord de la folie. La baleine et sa blan­cheur méta­pho­rique sont saluées sans excès d’enthousiasme par la cri­tique anglo-saxonne. Ses livres mar­chant de moins en moins, Mel­ville renonce bien­tôt à être roman­cier. L’inspection des douanes lui four­nit alors un tra­vail peu relui­sant et mal payé. De cette période aussi Eli­za­beth Hard­wick fait une des­crip­tion détaillée : chaque œuvre, car il écrit quand même, est une marche fran­chie vers la des­cente aux enfers, jusqu’au der­nier roman, Israël Pot­ter, le plus grin­çant, et jusqu’à Billy Budd, l’oeuvre inache­vée de fin de vie, une his­toire de sen­ti­ments ambi­gus entre un simple marin et son capitaine.

Et c’est pas­sion­nant. On voit, au fil des années, de quoi se nour­rit un génie qui a toutes les appa­rences d’un per­dant accom­pli. Dans son ana­lyse, Eli­za­beth Hard­wick met en lumière chez les héros de l’œuvre de Mel­ville le vrai Mel­ville, un Mel­ville qui se cache sous diverses iden­ti­tés. Un siècle plus tard, Moby Dick trouve son sta­tut de clas­sique de la lit­té­ra­ture amé­ri­caine, rece­vant alors des cri­tiques les qua­li­fi­ca­tifs de “sha­kes­pea­rien, pro­mé­théen, homé­rique !”. Et aujourd’hui encore, il n’y en a que pour Moby Dick ! Le livre d’Elizabeth Hard­wick, par une vision plus glo­bale, élar­git notre hori­zon aux dimen­sions justes de Melville. 

c. d’orgeval

   
 

Eli­za­beth Hard­wick, Her­man Mel­ville (tra­duit par Gene­viève Bigant-Boddaert), Fides, 2003, 206 p. — 15,00 €.

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