De la république et des républicains
Peut-on trouver aujourd’hui un seul discours politique, de gauche comme de droite, dans lequel les mots république et républicain ne seraient pas utilisés ? En vérité non. Quelle force possède donc ces concepts pour qu’ils soient ainsi offerts à la vénération des foules, comme le peuple élu adora le Veau d’or ? Des éléments de réponse sont apportés par le brillant essai écrit par Frédéric Rouvillois, déjà auteur d’une décapante étude sur le nazisme présenté comme une utopie (Crime et utopie. Une nouvelle enquête sur le nazisme, Flammarion, 2014). Ne s’embarrassant d’aucune restriction mentale imposée par le politiquement correct, ce professeur de droit tente de trouver un sens à ce terme de républicain.
Qu’est-ce que la république ? Qu’est-ce qui définit ce régime ? Le suffrage universel ? Mais les républicains ne l’adoptèrent qu’avec d’énormes réserves ! L’éducation pour tous ? Elle commença à être mise en place par la monarchie de Juillet et les autres monarchies européennes au même moment ! L’universalisme et la xénophilie ? Mais la république ficha les étrangers et s’en méfia dès la révolution ! Serait-elle le contraire de la monarchie ? Pas du tout ! Elle fut d’abord la chose publique avant de caractériser un régime monarchique sans système absolutiste. Certes, en 1792, elle devient le contraire de la monarchie. Mais que dire alors du Consulat, monarchie dans la république, comme l’est la Ve république ?
Signifierait-elle un régime de libertés démocratiques ? Pourtant, Mussolini et le fascisme furent d’authentiques républicains. La république romaine, source d’inspiration juridique de notre système, connaissait le recours à la dictature, comme l’expérimenta Cromwell qu’admiraient tant les positivistes. Etranges républiques que celles qui écrasèrent dans le sang les révoltes ouvrières de 1848 et 1871 !
Le mot républicain est en réalité fort commode pour se substituer à d’autres devenus « nauséabonds » : la nation, la patrie, l’élite. Il permet de rassembler un peuple mais aussi d’en exclure une partie. Frédéric Rouvillois aurait pu à ce propos rappeler que les Vendéens de 1793, en refusant la république, ont été exclus du genre humain et traiter comme tels… Quant à la légende républicaine, passée au scalpel par l’auteur, elle a été construite autour de « valeurs » comme l’unité, l’héroïsme et l’idéalisme, ce qui a donné une force redoutable aux courants républicains.
En fin de compte, ce livre de salubrité publique permet de saisir à quel point les mots de république et de républicains ont évolué au cours du temps. Aucun des concepts républicains n’a été définitif dans sa définition. Rien n’est plus changeant que les fameuses « valeurs républicaines ». Les parties du livre sur l’éducation et la laïcité le démontrent très bien. Et la peine de mort, dont l’abolition est aujourd’hui élevée au rang de dogme ? Faut-il considérer que tous les républicains d’avant 1981 ne l’étaient pas ? Qu’Obama et les autres présidents américains ne le sont pas ?
Frédéric Rouvillois démontre l’effet pervers de l’idolâtrie autour du mot républicain qui anesthésie tout débat et fait du régime français l’alpha et l’oméga de l’histoire des hommes, rabaisse les autres républiques et nie une évidence : que la monarchie parlementaire anglaise préserva les libertés comme jamais aucun autre régime républicain ne le fit.
frederic le moal
Frédéric Rouvillois, Etre (ou ne pas être) républicain, Cerf éditions, octobre 2015, 238 p. — 14,00 €.