Pour parler : Werner Lambersy
Les textes de Lambersy se veulent avant tout des chants. Ils courent donc le risque du lyrisme. Le poète tente de le couper en choisissant le vers court ou cassé en plusieurs fragments et des sections proches de l’aphorisme. Si bien que ce lyrisme est remplacé par un autre type d’effet. Ce qui revient parfois à sauter de Charybde en Scylla. Certes, des tercets tels que « Le vieux / Sperme bancaire / S’occupe des bordels » peuvent séduire. Pour autant, ils ne placent pas Lambersy parmi les poètes belges irréguliers de la langue (on est loin de Picqueray, de Miguel, de Blavier, de Balthazar, de Koenig ou de Jacqmin et autres iconoclastes d’outre Quiévrain). Le poète fait partie des premiers de la classe et des poètes de cours. Cela n’enlève rien à son talent mais celui-ci reste bien en place sur les routes et ignore les fossés de langage. Le message passe toujours par l’évidence du discours : il limite le poème à de la prose en vers.La poésie de Lambersy n’interroge pas le langage poétique. Pour certains, ce n’est d’ailleurs pas forcément la meilleure entrée dans l’écriture. Néanmoins, ce refus devant l’obstacle réduit la remise en cause du « régime des signes » comme disait Deleuze (même s’il ne fut pas grand connaisseur de poésie). On n’ajoutera pas : Lambersy non plus. Ce qui serait exagéré.
En effet, le poète belge croit en la poésie. Mais il fait trop confiance à sa pure rythmique et aux effets de réel. Ses textes restent une description critique du monde mais description seulement. Bref, une remise en cause superfétatoire car en absence de langue. Ses inserts restent de l’ordre du discours. Ce qu’Adorno appelait le «poématique» (c’est-à-dire ce qu’il y a de poéticité dans un texte poétique) l’intéresse assez peu. Ce qui le retient, reste une forme de jeu indifférent aux opérations «littéraires» qui pourraient tordre les topos de représentation (comme chez un Verheggen ou un Prigent ou un Novarina).
Il manque à Lambersy cette passion qu’on appelle poésie. A savoir, le besoin de refonder autrement le vecteur verbal par lequel nous communiquons. L’auteur semble ignorer que l’engagement que promet l’écriture tient au fait qu’aucun outillage verbal discursif ne dit avec justesse la singularité de l’expérience que chacun de nous fait du monde. Cette expérience est sensoriellement chaotique et intellectuellement inorganisable. Chez Lambersy, elle est à l’inverse remplacée par un savoir et un savoir-faire qui possèdent des qualités mais semblent oublier les sédiments corporels obscurs déposés en nous par notre aventure existentielle et esthétique.
L’auteur fait plus confiance à la pression logique qu’à celle que Bataille nommait « non-logique». Cette rumeur gronde peut-être en Lambersy. Mais elle le fait sourdement et rien ne le prouve dans sa poésie. En dépit de l’honnêteté du créateur, subsiste dans son écriture du semblant inaccompli, de l’inadéquat.
jean-paul gavard-perret
Werner Lambersy, Dernières nouvelles d’Ulysse – avis de recherche, peintures d’Anne-Marie Vesco, Préface d’Hubert Haddad, Editions Vincent Rougier, coll. Poésie & peinture, Solingny-la-Trappe, 2015., 108 p. — 18,00 €.