Une quête glacée dans la Russie bolchevique
On retrouve, au début du roman, deux points communs avec Le Village (Cherche midi, 2014), le premier livre traduit en français du romancier : un retour du héros dans son village natal, une nature particulièrement hostile. Mais la comparaison s’arrête là. Dans ce livre, Dan Smith place son récit en 1920, et non plus en 1930, au cœur de la Russie où le bolchevisme s’installe non sans peine, non sans heurts, non sans meurtres et injustices diverses. Comme dans toutes ces périodes charnières, on trouve toujours des individus qui réussissent à se placer de manière à assouvir leurs bas instincts, à laisser la surenchère barbare prendre le pas.
Au cœur de l’hiver 1920, Nicolaï revient à Belev, son village natal, accompagné de son frère aîné, pour retrouver sa femme et ses deux fils. Ils ont voyagé trois semaines en se cachant. Le village semble abandonné laissant supposer un drame, chose courante dans ces années où la guerre civile fait rage. Un drame qu’il connaît bien, en tant que soldat, au point de quitter l’unité où il servait, écœuré par ce qu’il a vu, par ce qu’il… a fait. C’est le cadavre de son frère qu’il a en selle derrière lui. Il veut l’enterrer près de leurs parents. Le village est désert. Il se réfugie dans sa maison. Pendant la nuit, il perçoit une ombre sur laquelle il se précipite. C’est la vieille Galina, une amie de sa mère. Elle était terrée dans une cache aménagée sous le plancher. Blessée, hagarde, elle tient des propos qui semblent incohérents. Elle parle de Kochtcheï, un personnage de légende cruel et odieux, symbole du mal. Si elle ne donne guère de précisions sur ce qui s’est passé, elle sait retrouver, près de la forêt, le cadavre de son mari, puis se suicide en se noyant dans le lac.
C’est en voulant ensevelir son frère que Nicolaï se fait surprendre par deux femmes armées qui l’interrogent sans ménagements. Elles sont sur la piste d’un groupe mené par un tueur qui se fait appeler Kochtcheï qui égorge les hommes et noie les femmes. Nicolaï réalise que le corps de son épouse est peut-être dans le lac. Il décide de retrouver la trace de sa femme et de ses enfants, puis de prendre la piste des deux femmes, de les rejoindre pour traquer l’assassin et le tuer. Commence alors un périple de tous les dangers dans un pays déchiré par la guerre civile où chacun lutte brutalement pour soi.
Dan Smith construit son intrigue comme un road-movie à travers un immense pays dans un froid glacial. Le héros part à cheval (la voiture automobile est plus que rare au fin fond des steppes), à la recherche de l’assassin de sa famille, bien décidé à venger ces crimes. L’action s’articule alors autour de quatre grands axes : l’émergence de la personnalité et du passé du héros, l’approche d’un pays où l’installation d’un nouveau régime politique se fait dans la douleur, la traversée de régions où règne un univers de glace et les exactions commises par des monstres agissant sous le couvert d’une idéologie. Nicolaï, un individu qui paraît simple, “carré”, se révèle complexe à souhait. Il souffre d’un fort sentiment de culpabilité et de honte pour les actions qu’il a dû mener, sentiments renforcés par la mort de son frère aîné pour il nourrit une grande admiration. “Si nous étions restés avec notre unité, peut-être notre médecin…“
L’auteur décrit avec maestria les paysages, le froid qu’il fait ressentir à la lecture. Il montre aussi la complexité de la situation, avec des corps d’armées aux couleurs indécises, des groupes de miliciens sous les ordres de chefs de guerre qui mettent en avant la Révolution pour piller, saccager. Ecrivant à la première personne, il choisit un rythme narratif lent, une progression qui temporise, avec des dialogues où les répétitions abondent comme le sont souvent les conversations où les interlocuteurs préoccupés ne se comprennent pas immédiatement. Il détaille le quotidien, les gestes anodins, dérisoires de gens en fuite, donnant à ces actions une valeur rassurante, dans la situation de déséquilibre que vivent les personnages.
Après Le Village, Dan Smith offre, avec Hiver rouge, un nouveau récit riche en rebondissements et en personnages aux profils soigneusement élaborés.
serge perraud
Dan Smith, Hiver rouge (Red Winter), traduit de l’anglais par Caroline Nicolas, Cherche midi, coll. “Thrillers”, septembre 2015, 544 p. – 19,80 €.