Les poèmes originaux de ce livre furent rêvés en langue maya tsotsile par des femmes chamanes qui, depuis la nuit des temps, prient pour éloigner les diables. Du moins ceux qui veulent voler leur soleil. De tels poèmes servent aussi à convoquer les ancêtres, à éloigner des charançons mangeurs d’haricots et à entamer des berceuses où se reflète l’alcoolisme de leurs maris : « dors mon petit dors / car ton père est fon saoul / et s’il me bat aujourd’hui / j’irai dans la montagne ». Leurs auteur(e)s d’aujourd’hui qui reprennent de tels « védas » (Munda Toston, Petra Tzon, Marie Tsu et les autres) habitent les plateaux du Chipas au Mexique.
Ces textes incandescents, simples et puissants sont autant des poèmes que des chants. On parlera donc à leur propos plutôt que de védas (cités plus haut) d’incantations. Elles passent de générations en générations par le ventre des mères et qui, dès qu’elles sont enfants, rêvent d’être chamanes. Adolescentes, elles peuvent caresser d’autres rêves et espèrent des bougies de toutes couleurs et des plantes sacrées énigmatiques. Elles permettent au discours comme à la vie de se poursuivre au fil des siècles de manière que « vive mon animal / encore de longues années / dans les pages du Livre / et sur toute la face de la terre ».
Preuve que dans chaque culture existe un livre premier et des ancêtres maîtres de cérémonie. Bref, chacune possède ses dieux et ses « Moïse ». Les chanteuses poétesses ne cessent de le ressasser en suivant de leurs scansions les aventures du totem. Elles font naître des âmes qui ignorent le nom de péché, remplissent des marmites pour accoucher du monde. Chacune le dit à sa manière dans ces chants qui, publiés en totalité, occuperaient plusieurs livres. On attend donc la suite.
jean-paul gavard-perret
Collectif, Ivresses et désenvoûtements, Passage d’Encres, coll. Trace(s), Guern, 2015.