La mythologie des mythologies
Emmanuel Despujol propose, dans ce diptyque, une histoire puisant dans les sources des mythologies, dans les racines des déités. Il place l’action de son récit avant la prépondérance humaine, le long d’un fleuve qui ressemble beaucoup au Nil. Il met en scène un antihéros de grande classe dans sa catégorie, un rebut humanoïde qui, peu à peu, prend une dimension plus conforme à ce qu’on attend de la catégorie sociale auquel il appartient. Dans ce cadre, l’auteur invente ce qu’on peut définir comme une quête initiatique et joue beaucoup sur les différences entre les membres du petit groupe au centre du récit, sur leurs motivations, sur leurs pulsions ancestrales.
Il construit, ainsi, une intrigue attrayante, menée avec brio jusqu’à un terme que l’on subodore dès le début compte-tenu du titre du diptyque, mais qui est amenée de façon attractive et qui réserve quelques surprises.
L’action se déroule dans des temps très anciens où neuf races se partagent un vaste territoire le long d’un fleuve nourricier. Un peuple humanoïde, les Aana, cohabite, non sans difficultés, avec les membres des autres communautés aux apparences animales : hippopotame, crocodiles, lions, buffles, gazelles… La magie baigne cet univers et profite surtout aux Hauts-prêtres. Aha le nain, de la race des Aana, est l’un d’eux. Doté d’un pouvoir d’invincibilité, c’est un jouisseur. Grand buveur, grand trousseur, il est la honte de la profession. Dahouti, un Très-Haut-prêtre, renie sa foi après que sa femme et le bébé qu’elle portait soient morts. Il s’ouvre la poitrine, s’extrait le cœur qui devient un cristal d’une grande pureté. Ce cristal apaise, soigne, mais en contrepartie, annihile les pouvoirs magiques de ceux qui le touchent. Or, étant de plus en plus nombreux, ils modifient l’équilibre de la magie et affectent tous les autres Hauts-prêtres.
Depuis son palais, en la capitale Nekhen, Hedjour missionne le nain Aha, parce qu’il est invincible, pour résoudre le problème en suprimant purement et simplement Dahouti. Mais, pour mener à bien son opération, Aha doit faire alliance avec les ennemis de son peuple. Après de longues et tortueuses négociations, un petit groupe hétéroclite formé de Ded-Wen le lion, de Khentkhet le crocodile et de Sahapet l’hippopotame est formé : ils font alors route vers Dahouti, et le cristal, en tentant tant bien que mal de faire cohabiter leurs antagonismes naturels et leur mode de vie. Mais la route est longue et traverse des contrées dangereuses pour tous, d’autant que la magie s’épuise…
Le dessin, partagé entre réalisme et idéalisme, offre une belle palette de personnages très expressifs et des décors conformes à l’esprit de l’histoire. Les vêtements et accessoires s’inspirent de ceux connus dans les civilisations antiques du Moyen-Orient, privilégiant toutefois ceux de la société des pharaons. Les races animales présentes dans le récit seront, pour la plupart, intégrées dans les mythologies méditerranéennes.
Avec Le Dixième peuple, Emmanuel Despujol signe une série réussie, au potentiel intéressant, agréable à découvrir.
serge perraud
Emmanuel Despujol (scénario, dessin), Myriam Lavialle (couleur), Le Dixième peuple, t. 2 : “Dahouty”, Editions Paquet, avril 2015, 48 p. – 14,00 €.