Il existe dans l’œuvre de Sandra Detourbet un état de voyance sans tomber dans les croyances d’une fusion chamanique. Chez l’artiste, cette fusion est charnelle. Toute l’œuvre se crée sur l’épreuve de la vie dont l’artiste multiplie les états par l’extase matérialiste et chimique de la peinture non forcément liée à une quelconque transcendance. Dégagée de tout modèle, cultivant la distance comme l’osmose, l’œuvre s’éloigne autant du romantisme que du vérisme. Elle rameute l’intime et un eros particulier. Le tout au sein d’une délectation joyeuse et de l’acidité ironique des couleurs et des formes. L’amour — ou ce qui en tient lieu — joue à plein. La peinture vient exorciser des peurs en accordant à la figuration une valeur magique.
Sandra Detourbet sera bientôt aux Réalités Nouvelles puis à Comparaison et cet Hiver, sur scène en pleine improvisation picturale sur le plateau de La Princesse de Clèves 6h30 où est projeté sur un écran ce qu’elle fabrique pour une tournée de 38 dates / MC2 Grenoble / TNS Strasbourg / TNB Rennes / MC Bourges / Comédie Béthune / L’Echangeur Bagnolet.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
A l’adolescence, un roman ne m’aurait pas suffit pour répondre à la question, « comment vas-tu ? ». Aujourd’hui, si une question se présente à moi, soit j’esquive en souriant ou soit je plonge sous les mots.
Au réveil, je prends l’élan pour franchir le seuil. Il me revient alors la raison. Je sais où je suis et depuis quand. Demain, je saurai aussi : je suis de passage. L’algèbre prouve que le soleil brillera encore pendant un temps donné. J’ignore le reste. La chimie qui me gouverne n’est pas le seul fait de mon passage. Il y a autre chose. “Je devais apparaître à cet instant là, je suis moi ou un autre. J’aurai pu passer avant ou après, ne pas être!” Unité de mesure : une vie, un souffle. Je m’arrête à cette sensation ineffable.
Le moment est venu de m’arrêter. En pleine élan je me m’interromps au cœur de la solitude. Quelques images forment en moi une voûte où le son de ma voix porte un silence infini. Sur le chemin du retour je pousse mon caillou puis un autre plus proche de mes désirs. Les forces s’annulent sous le poids de la pierre. Recommencer la migration de l’âme à perte de vue. La rencontrée du territoire intérieur.
Combien d’années me faudra-t-il encore? J’écris ces mots au petit matin. Le pas d’une biche sur la rosée m’apaise.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Me croirez-vous si je n’ai eu de cesse, par hasard, de n’être qu’un rêve absolu où l’enfance n’est qu’une chose ordinaire ?
A quoi avez-vous renoncé ? Ah…
Même à la maison je pleure. Les miroirs nous confient cela aussi. C’est commun. N’aimons pas ! Dans un sens comme dans l’autre, le renoncement est le moyen utilisé en cas de deuil prématuré. A l’aurore, près de la grande Nature florissante, gît le souvenir enseveli. Personne n’en saura rien. Nul n’y prête garde. Le moindre incident interrompt le déroulement naturel du temps. Je regarde l’homme endormi sous les pigeons alcooliques. Moi, j’ai un chez moi… une clef et une sonnette. L’interrupteur est généralement à droite. Non pas que je me trompe de droite. C’est forcément la contrainte qui sauve le monde des pauvres adultes. Laxisme ou indulgence, démagogie ou amour sont à peine dissociables. La thèse du complot est peut-être une façon de se donner enfin une raison d’être. Le système tout entier est contre l’individu. L’aliénation. “A l’attaque! Qui m’aime me suive…” comme dirait l’homme à la sortie des écoles. “Viens, approche, donne-moi la main. Si tu as peur je te ferai du mal.” Pauline n’avait qu’à traverser la rue chaque matin depuis sa prime enfance. Bien plus tard, tout a changé. C’était le monde à traverser. Elle n’a pas supporté. Elle n’est plus là et elle nous a quittés. Toujours est-il que les savants montrent à leur manière les signes discursifs de la vie. L’élément consiste à imposer ce qui est comme tel, sans remettre en question les autres éléments. L’homme, lui, tend à affirmer son unicité cosmique. Le verbiage somme brutalement mon oreille. Je vais allumer le poste de musique, le temps d’atténuer l’intérieur. Franchement, si tu naissais singe, aimerais-tu les couleurs? Longuement je réfléchis aux hypothèses d’enfants : c’est un peu après la nuit, quand vous songez à regarder ; être dans un état précis et se rendre compte de celui-ci pour la première fois après l’avoir négligé souvent. Dégrafer l’étoffe qui vous contient et répandre une flaque volatile. Personne ? Invisible et perceptible : la porte est située au milieu, le seuil délimite une frontière à laquelle je me fie. Ce pourrait être le visage souriant d’un corps en mouvement. L’apparat est convoitise et fête. L’aisance verbale, peut-être, distingue l’être parmi les autres. L’écoute… Ah! L’écoute. Le murmure aux inflexions d’un souffle timbré. Ne sachant rien sur l’après. Ne sachant rien sur l’avant. Le cercle se bombe à la surface et contient l’extérieur. La correspondance s’établit autrement. En forçant l’épaisseur jusqu’à son centre, le plein annule la différence entre la pensée et le langage.
L’origine est un mot pensé au-delà de son existence.
En faisant le marché, elle pense aux phénomènes imperceptibles de l’humeur.
L’obsession, le fragment et la chimie sont une seule et même chose. Certains chassent les papillons. Les promenades solitaires aussi, entretiennent les monologues. Le métronome sur la tête, le fauve est enfermé derrière les barreaux. Quand irai-je brouter les frais pâturages zébrés? Il faut prendre l’initiative, restaurer le relief géographique. A quelques mille d’ici va migrer la petite cohorte des prédateurs pour se reproduire. Tout bien observés, analysés et classifiés, les comportements grégaires retracent l’histoire récente. Charmée par les chants, elle avoue ses faiblesses. Un sorcier n’a qu’une vie. Joliment apprêtée d’une tunique unie, la marotte s’anime. L’île est habitée depuis quelques temps par des nomades. Ils n’ont pas de chefs. Ils consultent le ciel et échappent aux constellations maléfiques. La fumée suit le vent. Issues de quelques mythes oubliés, les superstitions guident la peur. D’Est en Ouest, dans cette voûte incurvée, le soleil s’élève pour rien. Seul l’air échappe à cette trajectoire inachevée. L’onde et l’eau flottent à la surface du vent. Jamais “deux fois” n’aura lieu. Ephémère. Sortir du rationnel centigrade. La configuration s’établit telle une piste d’atterrissage. Unes à unes, les envolées lyriques propulsent des bulles savonneuses.
Comment ne pas disparaître ? Les montagnes ont leur mot à dire. La source divine sauvera les insectes et les volatiles. Glaneuses et glaneurs entonnent la petite comptine. Nulle part.
En passant prêt du puis, la vieille qui n’est ni sourde, ni muette ou aveugle, compte les saisons. Ce qui l’agace peut-être un peu, aujourd’hui, ce sont ces fourmis et ces abeilles : pourquoi s’affairent-elles en plein soleil ? Et le repos dans tout ça ? Une trêve s’impose. L’éternelle question du pourquoi et à quoi bon. Inversons les rôles. Ceux qui œuvrent sans relâche cessent soudain de n’être rien. Commémorons le trimillénaire d’une caste anonyme et ignorée. A tous ceux et celles qui ne s’appellent pas. Ils ont propagé la vie. La foule et le temple sont sous les feux de la nuit. Des orties blanches poussent le long du sentier et paisiblement les vaches broutent et ruminent. L’adolescent a choisi son avenir. Il sait déjà, la peur au ventre. J’aime, j’aime pas dirait le prophète. J’intercale l’interlude de la clef de fa. C’est du brouillard ! Eureka ! Pêle-mêle, ça foisonne. Fiction ou divination ? Action ou meurtre ? Explosion ou chimère ? Pouc e! Votre sagacité m’épuise. Je ne sais plus rien. Mon chemin, je cherche mon chemin. Vous n’auriez pas vu un lapin courir ? Le laitier passe chaque matin. Les ongles impeccables. Tout de même un peu de fantaisie ! Ronchonnez en cachette, personne ne vous en voudra. Ma colère m’appartient, je ne vends, ni ne donne… Je fais exprès. Ouais. Les cacophoneurs font la morale dans les institutions reconnues et laïques. “Permettez que je m’étale”. Si je n’imagine rien de violent et de cruel, je suis fausse et vrillée. Dépecer son voisin n’a rien d’extraordinaire. Faire la paix pour les pauvres non plus. L’enfant a la jambe et la mère a la tête. Tu as une calculatrice moderne. Pèse le contraire. Tu ne penseras point assez. Baleine ! Tes hanches ont la bougeotte. L’injustice est un prétexte. Le général est rasé proprement. Tant de gens. Ils ont une résidence secondaire. Bénévole ? As de… Mondanité insolites, tourisme urbain, évadés du Bounty. Sur la piste tout scintille dans le miroitement angélique des convives. Ils tiennent la main pour toujours. Mercredi, gaufres chez Louise. Qu’est-ce que tu fais, à quoi tu penses? Pourquoi c’est bleu ? Dommage que nous ne nous comprenons pas.
“Etablir un contact.
Voici votre mission.“
“FAIS ATTENTION? ILS SAVENT”.
Toc-toc-toc bleu blanc rouge
Merci. Compiègne. Sauterelles.
Damnation serait le mot d’ordre, les grottes se réchauffent. Lentement.
Mode d’emploi d’une machine électrique : si tu appuies sur le déclencheur, quelque chose a lieu et trouve sa justification utilitaire ou poétique. Le silex par exemple. Un coup de point ou une pédale musicale.
L’instinct.
Être un peu bête. Avoir les sens en alerte. Les biches dans la clairière profitent de la lumière du bois.
Calomnie du jour. Je suis comme tout le monde. Qu’est-ce qui m’arrive ? C’est une fleur qui sent, l’arbre qui s’étend.
Notre mère qui êtes sur terre, que ton nom soit, que ta volonté t’aide. Fais-toi belle. Invite et commande ! Tourne sur ton axe au son du feuillage. Le sol est jonché d’une myriade de petites choses insignifiantes comme ces flocons fondus.
Cet événement s’arrête sous mes pas. Vers toi qui existe, vers vous qui serez, je me tourne. L’attente enfin est terminée.
D’où venez-vous ?
Je me situe en Europe pendant une période de l’histoire assez clémente. Je viens d’un théâtre d’idéalistes où la terreur du néant a jalonné quelques unes de mes obstinations à vouloir vivre.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Quel aura été le tribut qui m’accable ? Inévitable destin aux contours familiers. D’eux ma chair et d’autres mon salut épicurien. Je n’ai pas encore exploré certaines pensées philosophiques et humaines.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
A voix haute, dire et même fredonner quelques airs enfouis d’un bonjour ou d’une bonne nuit.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Rien probablement ou bien tout. « Je tuerai la pianiste… » moi aussi.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
L’autoportrait de Dürer et le thème de l’enfant prodigue.
Et votre première lecture ?
Un ami m’avait prêté “Le journal” de Jiddu Krishnamurti. Ce livre a accentué le décalage qui éloigne une adolescente des membres de sa famille.
Pourquoi votre attirances vers l’Eros ?
La frustration est une louve féroce. Et s’il n’y a pas plus précoce qu’un enfant, l’eros, lui, est un mot sorcier où dorment les promesses.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Celles de bien des époques et bien des cultures. Celui grâce auquel je suis vivante aujourd’hui s’appelle Georges. Jean Sébastien et sa passion, quelques Stabat Mater ou Requiem. Shankar, Les Queens. Emily Loizeau, Amy, Rodolph B, Robert Plant, Kraft Werk, Jay Jay Johanson, Lou, Luis Bonfa, Hugo Diaz, Portishead, Ignatus, Led Zeppelin… Les chants tibétains et celui des baleines.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Les vagues » de Virginia Woolf.
Quel film vous fait pleurer ?
“Femme sous influence” de John Cassavetes.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je vois quelqu’un.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Certains parce qu’ils sont morts : Andriej Tarkowski, Bram van Velde ou Fernando Pessõa.
Bientôt, si le monde devient un enfer, j’écrirai à tous ces diables pour qu’ils cessent leurs horreurs. Je voudrai écrire à bien des femmes ou des hommes pour les remercier de leur combat pour cette belle liberté dont je jouis chaque jour.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le palais des Papes et le Concorde.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Charlotte Salomon, David Hockney, Pear Kirkeb, Théo Angelopoulos, Jim Jarmush, Oum Kalthoum, Yma Sumac, Lautréamont, William Shakespeare, Dante, Margueritte Duras, Nathalie Sarraute, Le concombre masqué de Mandryka, Le génie des alpages de F’murr. Le voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un festin avec une danseuse et un joueur de cithare.
Que défendez-vous ?
Continuer à peindre.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
La perversion est une des formes de la peine de mort.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Suis-je ?
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Choisissez 3 mots ? Paysage – ciel – paresse.
Voir la vidéo sur l’artiste
Présentation et entretien réalisés par jean-Paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 5 octobre 2015
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Merci Agnès…!