Synopsis
Le pays est frappé par une épidémie de cécité qui se propage à une vitesse fulgurante. Les premiers contaminés sont mis en quarantaine dans un hôpital désaffecté où ils sont rapidement livrés à eux-mêmes, privés de tout repère. Ils devront faire face au besoin primitif de chacun : la volonté de survivre à n’importe quel prix. Seule une femme n’a pas été touchée par la ” blancheur lumineuse ” et suit volontairement son mari dans sa réclusion imposée. Elle va les guider pour échapper aux instincts les plus vils et leur faire reprendre espoir en la condition humaine.
Métaphore sur les réactions politiques et individuelles face aux catastrophes naturelles ou sanitaires, interrogation sur l’animalité de l’homme en situation extrême, le film de Meirelles médite sur les conséquences pour l’homme du refus de voir ce qui se passe autour de lui. Cette fable philosophique met à profit la quarantaine imposée aux aveugles, enfermés ensemble par des autorités démissionnaires dans un immeuble désaffecté, abandonné de ses médecins et surveillés depuis des miradors par des soldats armés au surplomb de barbelés, pour établir si, malgré leurs conditions chaotiques, ils apprendront/parviendront à cohabiter en cet enfer où les vivres sont rares et où l’instinct l’emporte sur la raison. Mais comment, dans cette descente morale aux enfers, maintenir une conception unitaire de la nature humaine ? La violence qui se déchaîne en ce lieu ne signale-t-elle pas plutôt la dégradation, irréversible, du corps social ? Sur quoi donc est-il encore possible de fonder la responsabilité du sujet envers autrui ?
Une nature humaine rabougrie
Extrait 1, premières minutes du film :
La scène commence dans une grande métropole, par un gros plan sur un feu de circulation où une voiture ne démarre pas, malgré le passage au vert du feu. Le gros plan, trop important prend tout le champ et empêche de voir, tandis que les sons accaparent aussi un espace exagéré dans le vacarme des klaxons et des cris. Plongé dans un univers de perception qui défie ses repères habituels, le spectateur voit mal et entend trop : la cause en est que le conducteur de cette voiture arrêtée en plein carrefour vient de tomber aveugle. Tous les passants qui assistent à la scène vont être, les uns après les autres, contaminés par cette épidémie de cécité. En l’espace de quelques jours, c’est la ville entière qui sera atteinte.
Très vite, les personnages, de même que le spectateur, sont plongés dans un huis clos violent et répugnant. L’hôpital devient un cloaque — qui « évoque le « bourbier barbare » désignant chez Platon (République, VII) le trompeur monde des sens -, jonché d’immondices et de défécations. Les « malades », abandonnés tout autant à leur sort qu’à leur handicap, se vautrent littéralement dans ces déchets, obnubilés par le seul impératif de satisfaire aux exigences vitales de la nécessité physiologique : boire, se nourrir, faire ses besoins, copuler ; bref, rester en vie. Abandonnant toute dignité, ils laissent s’évanouir le vernis – lequel paraît bien mince – d’humanité qui était le leur avant la propagation de l’épidémie. Cédant aux instincts les plus bas (mais en est-il de hauts?), ils se métamorphosent peu à peu en véritables bêtes, que le lent et patient travail de la civilisation avait enfouies. Comme le dit Hobbes repris par Freud, « l’homme est un loup pour l’homme » et il peut désormais tuer (symboliquement ou physiquement) son prochain afin d’honorer son instinct de conservation :
« L’homme n’est point cet être débonnaire, au cœur assoiffé d’amour, dont on dit qu’il se défend quand on l’attaque, mais un être au contraire qui doit porter au compte de ses données instinctives une bonne somme d’agressivité. Pour lui, par conséquent, le prochain n’est pas seulement un auxiliaire et un objet sexuel possibles, mais aussi un objet de tentation. L’homme est en effet tenté de satisfaire son besoin d’agression aux dépens de son prochain, d’exploiter son travail sans dédommagements, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ses biens, de l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer. Homo homini lupus : qui aurait le courage, en face de tous les enseignements de la vie et de l’histoire, de s’inscrire en faux contre cet adage ? Cette tendance à l’agression, que nous pouvons déceler en nous-mêmes et dont nous supposons à bon droit l’existence chez autrui, constitue le facteur principal de perturbation dans nos rapports avec notre prochain ; c’est elle qui impose à la civilisation tant d’efforts. Par suite de cette hostilité primaire qui dresse les hommes les uns contre les autres, la société civilisée est constamment menacée de ruine. »
Freud, Malaise dans la civilisation, 1929.
En effet, à en juger par les cruautés, les atrocités, les guerres dont se montrent capables les hommes les uns envers les autres, individuellement et collectivement, Freud interroge légitimement le fond de la nature humaine, visant ici à réfuter la thèse, et même à dénoncer le mythe, de l’homme naturellement bon. Ainsi, la violence humaine, qu’elle soit physique ou morale, est-elle innée ou acquise culturellement, socialement ? L’homme porte-t-il atteinte à autrui par essence et à l’état de nature ou bien devient-il violent pour des raisons sociales et historiques ?
Selon Freud, la violence est une donnée naturelle et première (« tendance », « hostilité primaire »), active et non réactive, qui puise sa source dans les instincts de l’homme (« données instinctives »). La tendance de l’homme à l’agressivité n’est donc pas seconde et dérivée ; elle n’est pas une conséquence de la vie en société. Thèse qu’il étaie dans cet extrait en s’appuyant en premier lieu sur des constats d’expériences tirées de l’histoire individuelle ou collective qui nous présentent les méfaits des hommes (exploitation, viol, vol, meurtres, guerres etc.) Ceci parce que, en un deuxième temps, Autrui se manifeste principalement comme un objet de tentation sur lequel peuvent se défouler les pulsions agressives de chacun d’entre nous – notamment les « pulsions de mort » (thanatos) inconscientes inscrites dans le psychisme de tout homme, et indéracinables. En découle pour finir la sombre conséquence selon laquelle la civilisation, lorsqu’elle tente de policer les rapports entre les hommes (les pulsions pouvant être réprimées ou refoulées mais non détruites) ne saurait être qu’un remède provisoire.
Par exemple, dans notre extrait des premières minutes du film, on voit parmi les passants contaminés par l’épidémie de cécité l’un d’eux obéir immédiatement à un élan d’altruisme envers le malheureux conducteur, tombé aveugle, de la voiture arrêtée au feu, tandis qu’un autre se propose de le reconduire à son domicile – mais c’est parce qu’il prévoyait déjà de lui voler sa voiture ! Reste que, n’en déplaise à Freud, si la part animale des malades en quarantaine refait surface, leur cerveau reptilien ne l’emporte pas complètement : l’argent continue de valoir comme élément symbolique essentiel alors que sa valeur réelle est nulle dans ce lieu, le médecin qui ne supporte plus d’être materné par sa femme préfère encore « faire le mal » (i.e céder à ses pulsions de mâle) avec une autre femme… Même peu appréciables, certains fondations culturelles résistent.
La violence de la dégradation sociale
Dans cette ville non identifiée où les personnages n’ont pas de prénoms (le tournage s’est fait à Sao Paulo, multi-ethnique, et sans élément architectural identifiable), on ne saura pas d’où vient cette épidémie, ni pourquoi une seule femme n’en est pas atteint. Mais c’est bien cette perte d’humanité que Blindness illustre, l’aveuglement se donnant aussi comme une métaphore tout à la fois de l’indifférence, du refus de tout un chacun de regarder en face l’inadmissible et de la démission des pouvoirs politiques dans des circonstances extrêmes. L’ignominie, partout, terrifiante et dérangeante, congédie brutalement par son réalisme même le fantasme d’une nature humaine idyllique. Cette parabole sur l’aveuglement spirituel d’une civilisation obnubilée par le confort matériel pousse de façon indéniable à réfléchir sur les limites des sociétés démocratiques.
A l’écran, les plans lumineux sur les couloirs envahis de déchets et détritus, à l’hygiène réduite à néant, excréments et urine copieusement mêlés, contrastent avec l’obscurité omniprésente – parallèle topographique du cauchemar que vivent à répétition dans l’angoisse les citoyens ici enfermés (on devrait dire emmurés). Les cadrages, le rythme, les mouvements des acteurs, nous exposent un monde autre. Un monde brutal où dominent les quatre sens exacerbés qui demeurent en l’homme, la vue en moins : par le truchement des sensations qui leur reste, ces malades parviennent cependant à s’organiser, touchant sans cesse les objets et les visages, palpant sol et murs à l’aide de cannes improvisées, déambulant dans l’espace grâce à des cordes tendues au plafond, se reconnaissent à la voix, aux bruits, sentant une myriade d’odeurs (des meilleures aux pires). Des êtres capables, dans ces conditions qui ressemblent à celles des camps de prisonniers de la seconde guerre mondiale, d’éprouver une joie sans pareille lorsqu’ils parviennent à manger un semblant de nourriture.
Devant le noir spectacle de cet Ailleurs spatio-temporel indéfini, chacun se prend, tels Hobbes et Rousseau s’interrogeant sur la fiction du « contrat social », à se demander comment les premiers hommes ont bien pu réussi ‚à constituer les premières communautés modestes sans s’exterminer les uns les autres. Qui a eu le premier l’idée qu’il fallait un chef pour maintenir le cap de l’agrégation des individus en communauté ? Démonstration magistrale par l’absurde est faite ici sur le pouvoir, objets de maintes critiques et autres détestations, mais pilier fondamental et nécessaire, au sens latin de « ce sans quoi n’est pas », de la société. Tout porte à croire en effet que l’homme n’est pas fait pour l’absence totale d’organisation, pour l’anarchie : quand la loi du droit positif s’éteint, au cœur des pénombres de la sordide grégarité humaine luit encore la faible lueur de cette force qui n’appartient qu’au cœur des braves. Si tant est que la violence généralisée ne l’éteigne pas d’un coup.
Car Blindness, à l’évidence, se fait aussi le terrible portait des premiers »contaminés » mis en quarantaine, pour ne pas dire parqués, dans un hôpital désaffecté où, rapidement livrés à eux-mêmes, il sont privés de tout repère. Devant faire face au besoin primitif de chacun, à la volonté de survivre à n’importe quel prix, certains vont tenter de préserver un minimum de dignité humaine. Mais, progressivement, on les voit contraints par la force des choses d’entrer en guerre contre ceux qui ont compris d’emblée que, pour survivre avec des ravitaillements quasi-inexistants, il faut écraser l’autre. Vivant de facto non pas au contact les uns des autres mais les uns sur les autres, ces hommes se soulagent sans état d’âme ni morigénation morale, déféquant n’importe puisque incapables de (re)trouver les toilettes, copulant où et quand ils le peuvent, par nécessité viscérale, quitte à contraindre l’autre. Véritable misère d’un monde sous-tendue par la violence de la dégradation sociale.
Même si manichéenne, l’opposition entre les dortoirs 1 (espace démocratique où la civilisation se maintient) et 3 (refuge des « loups » et des barbares) illustre l’allégorie du fait politique : seul à disposer d’un revolver, le « roi du dortoir 3 » prend sans tarder le pouvoir sur l’ensemble de l’hôpital, ce qui transmue l’organisation des aveugles en affrontement – notamment lorsque le tyran réclame bijoux et femmes à violer en échange de nourriture. A chacun de se représenter, sur le modèle de ce qu’expérimentent les individus du dortoir 1, à quel point il est difficile d’incarner in situ les philosophiques notions de responsabilité et de de dignité. Autant il est vrai qu’ici nous errons souvent à tâtons avec les personnages dans les ténèbres.
Extrait 2 : Le viol des femmes par les hommes du dortoir 3.
A la question : que reste-t-il de culture en l’homme lorsque la nature reprend le dessus ? répond la scène où les hommes du dortoir 3 qui violent les femmes des autres dortoirs (condition imposée pour que ces derniers reçoivent le ravitaillement minimal pour leur groupe) plongent la pièce dans le noir : des aveugles qui couvrent les fenêtres avec ce qui leur tombe sous la main (agissant alors comme s’ils voulaient échapper au spectacle de leur propre avilissement, ce qui semble au moins dérisoire puisque la vue leur fait complètement défaut), soit un ultime réflexe civilisé.
Posant alors une caméra en définitive fort pudique sur cette séquence, effroyable et inhumaine, mais plus suggérée par quelques bribes de lumière irisant les peaux dans les suffoquements et halètements, que « vue » dans sa crudité, Meirelles s’évertue à mettre en scène le regard jeté sur l’horreur de cette dégradation sociale par la femme du médecin, seul témoin à même de nous interpeller. Pourquoi, en effet, celle-ci, qui est la seule à voir, met-elle si longtemps à agir ? Pourquoi ne cherche-t-elle pas plus vite, alors qu’elle en a les moyens, à changer le cours des choses ?
Du regard à la responsabilité : de soi à l’autre
Il est tentant de postuler que la femme du médecin a le privilège de garder la vue parce qu’elle est le seul être suffisamment « pur » pour savoir regarder, et ainsi observer l’aveuglement de ses semblables. Un aveuglement qui n’est pas seulement physique mais la résultante sur le long terme de l’individualisme, de l’égoïsme, des multiples idéologie destinées à nier le réel, qui caractérisent la société entière. D’où le climat de brouillard et l’ambiance claustrophobe générés par Meirelles afin de nous faire ressentir physiquement les troubles dus à la perte de la vision : quand les repères ordinaires viennent à manquer, quand objets et visages s’évanouissent (à l’instar de la « caverne » platonicienne, d’abord dans l’obscurité puis dans la lumière éclatante), le sujet sent ses valeurs et croyances se dissoudre aussi.
Au « regard » de ces hommes qui ont toujours déjà été aveugles à eux-mêmes et à autrui (confondant volontiers le voir et le voyeurisme), Blindness fait état chez la femme du médecin de la prise de conscience progressive d’une responsabilité qui ne l’avait pas effleurée jusque ici. Non pervertie et bonne, elle n’a pas besoin, à la différence de son mari et de ses congénères, d’en découdre avec la maladie, d’en passer par l’épreuve la cécité pour être « purifiée ».Témoin de la déchéance de son espèce, sa mission consiste à créer une nouvelle civilisation sur les ruines narcissiques de la précédente. Lointaine héritière des Lumières du XVIIIe siècle, cette femme “éclairée” doit maintenant, entre compassion et foi, étendre son savoir, sa connaissance aux autres.
L’avenir de cette société nouvelle est donc, sinon pendu à ses lèvres, du moins suspendu au moindre des regards qu’elle porte autour d’elle sur Autrui et sa manière de se comporter, transmettant ainsi des émotions dans le plus grand des silences (on la voit par exemple assister muette à la scène où son mari, refusant l’infantilisme de sa condition de “malade”, la trompe en couchant avec une autre femme de manière bestiale). Elle voit ainsi, contre toute attente, les perceptions et sentiments s’aiguisant au jour le jour, se former des petites solidarités et même se former un couple improbable entre le vieux noir borgne et la belle jeune femme aux lunettes de soleil. Mais jusqu’où cette figure angélique, unique témoin de tant d’horreur, ira-t-elle ?
Voir la séquence où les femmes portent ensemble le corps de l’une d’entre elles, violée et battue à mort par les hommes du dortoir 3, cherchant à la laver sans voir ce qu’elles font, mais par respect pour leur consœur. Ainsi que Platon en témoigne dans son Alcibiade, justifiant par là au passage la pratique du dialogue, c’est parce que l’œil de chacun peut se refléter dans l’œil d’une autre personne, et plus particulièrement dans cette partie d’où procède la vision, la pupille, que notre âme accède à ce qu’il a de proprement moral et humain en l’autre :
« SOCRATE : Réfléchissons ensemble. Supposons que ce précepte (« connais-toi toi-même ») s’adresse à nos yeux comme à des hommes et leur dise : « Regardez-vous vous-mêmes. » Comment comprendrions-nous cet avis ? ne penserions-nous pas qu’il inviterait les yeux à regarder un objet dans lequel ils se verraient eux-mêmes ?
ALCIBIADE : Évidemment.
SOCRATE : Or quel est l’objet tel qu’en le regardant nous nous y verrions nous-mêmes, en même temps que nous le verrions ?
ALCIBIADE : Un miroir, Socrate, ou quelque chose du même genre.
SOCRATE : Très bien. Mais, dans l’œil, qui nous sert à voir, n’y a –t-il pas quelque chose de cette sorte ?
ALCIBIADE : Oui certes.
SOCRATE : Tu n’as pas été sans remarquer, n’est-ce pas, que quand nous regardons l’œil qui est en face de nous, notre visage se réfléchit dans ce que nous appelons la pupille, comme dans un miroir ; celui qui regarde y voit son image.
ALCIBIADE : C’est exact.
SOCRATE : Ainsi, quand l’œil considère un autre œil, quand il fixe son regard sur la partie de cet œil qui est la plus excellente, celle qu’il voit, il s’y voit lui-même.
ALCIBIADE : Tu dis vrai.
SOCRATE : Donc si l’œil veut se voir lui-même, il faut qu’il regarde un œil, et dans cet œil la partie ou réside la faculté propre à cet organe ; cette faculté c’est la vision.
ALCIBIADE : En effet.
SOCRATE :Eh bien, mon cher Alcibiade, l’âme aussi, si elle veut se connaître elle-même, doit regarder une âme, et, dans cette âme, la partie où réside la partie propre à l’âme, l’intelligence, ou encore tel autre objet qui lui est semblable.
ALCIBIADE ; je le crois, Socrate.
Or, dans l’âme, pouvons-nous distinguer quelque chose de plus divin que cette partie où résident la connaissance et la pensée ?
ALCIBIADE : Non, cela ne se peut.
SOCRATE : Cette partie-là en effet semble toute divine et celui qui la regarde, qui sait découvrir tout ce qu’il y a en elle de divin, un dieu et une pensée, celui-là a plus de chance de se connaître lui-même.
ALCIBIADE : Évidemment. »
Platon, Alcibiade, trad. M. Croiset, Gallimard, coll « Tel », 1991, pp.70–71.
Qu’elle soit vue ou sentie, intuitionnée ou perçue, la reconnaissance de soi par l’autre, l’accès à la dimension éthique du visage d’autrui, comme le dit Levinas, est bel et bien garante de l’établissement de liens interindividuels forts et de la construction d’une civilisation. La communauté, la capacité des individus, quelles que soient leurs conditions, à mettre en commun, donc en partage, ressources et idées vaut comme l’essence même de toute société. Une « civilisation » infiniment fragile. Témoigne de ce besoin réciproque des hommes une séquence de la fin du film, lorsque certains contaminés, guidés par la femme du médecin, quittent l’hôpital après la mort du « roi du dortoir 3 », et croisent, dans la ville dévastée, miroir d’eux-mêmes, des groupes de personnes animées par l’instinct grégaire, se tenant par l’épaule ou la main pour avancer, pour chercher un foyer et reconstruire une famille.
Conclusion
Ode à l’humanité malgré la noirceur du propos, épopée humaine poussant l’homme dans ses derniers retranchements, où la sauvagerie s’exprime par une violence banalisée (au sein et autour du camp de prisonniers), où les pulsions ne sont plus réprimées, Blindness élève malgré tout l’homme par la suite, lui faisant prendre conscience de ce qu’il a de meilleur en lui. Eclairant ainsi en lui tout ce que l’on peut craindre mais aussi espérer. Un « retour à zéro » de la nature humaine qui donne à l’œuvre un caractère philosophique : à la manière de Descartes qui doute de tout pour ne plus douter in fine dans les Médiations métaphysiques et contrer de la sorte le mouvement du scepticisme, les hommes deviennent ici aveugles pour mieux voir ensuite.
Au drame intimiste de cette plongée dans les enfers qui se veut également une leçon de vie sur la dualité, la fragilité de l’homme, sur l’importance de l’amour largo sensu, répondent le maintien d’une certaine et inamovible, même si fortement entachée, nature de l’homme, la constitution, contre la violence qui tend à l’éradiquer, d’une cohésion sociale minimale et l’échange de regard entre soi et autrui à même de fonder une responsabilité fondatrice du lien éthique et social.
frederic grolleau
Blindness
Réalisateur : Fernando Meirelles (2008) — d’après le roman L’Aveuglement de José Saramago
Avec :Julianne Moore, Mark Ruffalo, Alice Braga
Genre : Drame , Science fiction
Durée : 1H58mn