Pierre Yves Freund

Pierre Yves Freund : fouiller l’oubli

Toute l’œuvre de P-Y Freund répond à la ques­tion que pose Caro­line Sagot Duvau­roux dans le beau texte de pré­sen­ta­tion qu’elle consacre à l’artiste : “Com­ment sau­ver le peu qu’on englou­tit ?” et que le monde lui-même dévore. Le plas­ti­cien fait res­sur­gir non seule­ment les traces mais les lumières de tout ce qui se défait. Tex­tiles, mou­lages tirent du rien “tout ce qui reste” comme aurait dit Beckett. Comme lui, l’artiste fait de ce rien un tout en un céré­mo­nial qui n’a rien de délé­tère. Les sur­vi­vances se trans­forment sou­dain en sur-vivances à la beauté froide venue d’un sur­gis­se­ment intem­pes­tif. Néons, cubes conjurent à leur manière l’immense char­nier du temps selon une géo­mé­trie dans l’espace des plus impeccables.

Le créa­teur pro­jette des visions qui ouvrent à une sorte d’universalité. Elles marquent une obses­sion, une han­tise de l’entrave dont le créa­teur veut libé­rer le monde comme s’il vou­lait répa­rer le trauma d’une époque qui croule sous les images, aussi répul­sives qu’attirantes et attrac­tives, signes d’un impli­cite enfer­me­ment. Les épures de l’artiste per­mettent de pen­ser l’être, son rap­port à l’autre, au monde en une concen­tra­tion source de “sim­pli­cité ». Ses oeuvres pro­duisent aussi une sen­sa­tion quasi tac­tile de l’espace. Il joue ainsi sur deux registres : la jubi­la­tion d’un par­cours ini­tia­tique qui pro­voque un ravis­se­ment mais aussi — car il faut bien l’appeler par son nom — le tra­gique de situa­tion où l’être semble perdu en une sorte de néant.

Ce que l’artiste offre reste néan­moins har­mo­nieux et accom­pli. Dans cet uni­vers dépeu­plé et de recueille­ment, ce qui y demeure “tient”. A ce titre, Freund pour­rait faire sienne la phrase de Braque : “une toile blanche ce n’est déjà pas si mal”, chez le plas­ti­cien c’est même bien, car à la fin il faut tou­jours reve­nir à l’essentiel : l’image pri­mi­tive et sourde. Une lumière sur­git de sa césure. Jamais loin du néant, l’artiste atteint ainsi une sorte d’essence et de clarté par ce dépouille­ment majeur là où l’art semble se déro­ber mais résiste pour­tant de manière essen­tielle.
C’est en se sens que sous l’apparente bana­lité se cache ce qu’il y a de plus fan­tas­tique. L’image devient un seuil visuel par­ti­cu­lier. Fran­chir ce seuil ne revient pas à trou­ver ce qu’on attend. Mais c’est ainsi qu’il indique un réel pas­sage : il ne risque pas, sa fron­tière pas­sée, de rameu­ter du pareil, du même. Si effet de miroir il y a, ce miroir est un piège : l’oeil devient veuf de ce qu’il espère ou serait en droit d’attendre.

jean-paul gavard-perret

Pierre Yves Freund, Edi­tions Les Musées de la ville de Bel­fort et Le 19 Centre d’Art Contem­po­rain de Mont­bé­liard, 2015, 15,00 €.

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