Moussa Konaté, L’Affaire des coupeurs de têtes

L’ultime enquête d’Habib

La popu­la­tion de Kyta, en liesse, attend à la gare le retour des “héros”. Son équipe de foot­ball a battu celle de Kayes. Lorsque la marée humaine se retire, des enfants découvrent le corps déca­pité d’un clo­chard qui sem­blait dor­mir, adossé à une clô­ture. Deux notables, ce même jour, un mécréant et un reli­gieux, sont mena­cés par un être vêtus d’un habit brillant. Sur la col­line de Kita­kou­rou appa­raît, en soi­rée, aux yeux de la popu­la­tion, une sil­houette au cos­tume rouge brillant, concré­ti­sa­tion de l’esprit des ancêtres. Ces évé­ne­ments troublent la vie du com­mis­saire Dem­bélé, peu habi­tué à faire face à de telles mani­fes­ta­tions.
Le conseil, réunit en pré­sence du pré­fet, autour du chef du vil­lage conclut que les ancêtres sont en colère parce qu’on ne leur témoigne plus suf­fi­sam­ment de res­pect. Il faut reve­nir aux valeurs fon­da­men­tales des tra­di­tions. Un second cadavre, étêté, est trouvé le len­de­main au Grand Mar­ché, puis un nou­veau mort le jour sui­vant. La police locale et la gen­dar­me­rie sont dépas­sées. Les jeunes s’en prennent aux poli­ciers et le com­mis­sa­riat est assailli. À Bamako, les auto­ri­tés décident d’envoyer Habib et son adjoint, le jeune Sosso. Leur arri­vée n’arrête pas les crimes et un autre corps est décou­vert. Qui peut orches­trer une telle série de meurtres et pour­quoi ? Habib, ori­gi­naire de Kyta, doit affron­ter de mul­tiples embûches dans une enquête pleine de sur­prises, des sur­prises pas for­cé­ment bonnes…

L’auteur place cette enquête dans sa ville natale, prê­tant à Habib le même état d’esprit en retrou­vant ses racines.Il raconte, à tra­vers les enquêtes de son héros, ce com­mis­saire qui sait si bien allier tra­di­tions et moder­nité, le Mali, les com­po­santes de son pays, les liens entre les eth­nies et leur manière de coha­bi­ter. Ce Mali, issu de l’ancien Sou­dan Fran­çais, reste ancré dans des tra­di­tions qui, si elles sont res­pec­tables, freinent une évo­lu­tion de la société, une marche vers une avan­cée sociale. Certes, si cer­taines évo­lu­tions sont plu­tôt néfastes, glo­ba­le­ment, celles-ci apportent un pro­grès, libé­rant, par exemple, les femmes de l’esclavage patriar­cal, mas­cu­lin et reli­gieux. L’auteur pointe le poids spi­ri­tuel que repré­sentent les notables atta­chés à leur pou­voir, l’importance don­née aux ancêtres comme autant d’obstacles à une évo­lu­tion rai­son­née. Cet immo­bi­lisme est ren­forcé par une reli­gion dont le pas­séisme des dogmes est impres­sion­nant, dogmes déci­dés par des reli­gieux qui, eux, ont su s’en libé­rer quand leur inté­rêt et leur plai­sir sont en jeu.

Le roman­cier expli­cite avec verve, non sans iro­nie, ni humour, les enjeux auquel est confronté son pays, les men­ta­li­tés qui res­tent bien ancrées et sur­tout le poids de tra­di­tions qui s’opposent à une logique d’État. Mais la rela­tion de ce cli­mat n’empêche pas l’auteur de peau­fi­ner une intrigue aux res­sorts appuyés sur un état d’esprit local qui a néan­moins beau­coup de simi­li­tudes avec ce qu’on peut trou­ver ailleurs. Il décrit, avec brio, une nature humaine contras­tée à tra­vers une gale­rie de por­traits d’une grande finesse et d’une grande jus­tesse.
Ce roman, qui a été écrit quelques mois avant la mort de son auteur, pos­sède une sono­rité par­ti­cu­lière, lais­sant orphe­lin un héros atta­chant. L’Affaire des cou­peurs de têtes indui­sait une réflexion pas­sion­nante agré­men­tée d’une énigme séduisante.

serge per­raud

Moussa Konaté, L’Affaire des cou­peurs de têtes, Métai­lié, Coll. “Autres Hori­zons – Noir”, mai 2015, 160 p. – 16,00 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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