Claire Von Corda, En grand

L’oubliée

Dans les dépla­ce­ments suc­ces­sifs au fil des jours, le récit de Claire Von Corda (ci-contre, photo de Patrick Bories) est super­be­ment déri­soire. Ce qui est affirmé est quasi nié, comme si l’existence n’avait pas – ou plus – de signi­fi­ca­tion sûre ou réelle. Non que l’auteure joue la comé­die : elle l’écrit dans une mise en abyme. C’est comme du Piran­dello ou du Strind­berg contem­po­rain où tout dia­logue se trans­forme en soli­loque. Par glis­se­ment ad libi­tum, la vie n’a qu’un but : per­mettre au dis­cours de se pour­suivre là où il n’existe plus vrai­ment de réa­lité en acte, et de moins en moins de réa­lité en l’être. Res­tent l’amorphie, l’inanité sans drame : juste l’attente dans un monde qui ne se ras­semble plus.
L’énergie s’affaiblit jusqu’à la limite extrême que le mot de « dépres­sion » ne fait qu’esquisser. Ce qui demeure de force de vie ne peut être ni for­ma­trice, ni conduc­trice tant son niveau est faible. Sur­git une sorte d’errance sta­tique dans l’indéfini, l’indéfinissable, dans l’expulsion de la dimen­sion vitale de la vie. En grand (dont le titre est volon­tai­re­ment déri­soire) débouche donc sur une immense céré­mo­nie d’expulsion voire d’expiation. Le quo­ti­dien en creux  porte des charges affec­tives for­cé­ment refou­lées. Le mono­logue devient une ber­ceuse neu­tra­li­sée où l’être se réduit au Pas moi de Beckett.

L’auteure se réduit à un petit bout d’être. Elle semble n’être rien à ses propres yeux au sein d’un abat­te­ment, d’une extinc­tion des feux. L’œuvre devient dans sa neu­tra­lité une méta­phore du manque. L’implosion mys­té­rieuse du texte a lieu afin de signi­fier une éli­mi­na­tion du monde par le vide, comme s’il n’y avait plus d’images sus­cep­tibles de résis­ter à la repré­sen­ta­tion, et comme si tout devait retour­ner au chaos d’une non-identité.
Lié à l’émotion la plus grande et la plus dan­ge­reuse pour l’auteure, l’amour subit un affais­se­ment au moment où, lui filé – enten­dons l’amant -, l’auteure ne caresse aucune sol­li­ci­tude pour elle-même (Angot est bien loin). Sa libido demeure en un point zéro. Reste jour après jour une lente des­cente. Le monde demeure à l’état brut, incom­pré­hen­sible. Il est des­tiné à se pour­suivre sans écho sinon ceux de mots qui cassent le silence. Demeure un corps qui, en vertu de sa voix, tend à son lieu propre ou son englou­tissent lorsque, pour finir et comme l’écrivait Beckett ” bée la langue s’engorgeant de tant de vide “.
La seule bouche par­lante ne cherche plus à devi­ner de quoi il retourne du monde et d’elle. La par­tie semble jouée. Mais ce n’est qu’une étape. Rap­pe­lons à la créa­trice (elle veut à tort l’ignorer) qu’il demeure tou­jours des rai­sons d’espérer.

Lire notre entre­tien avec l’auteure

jean-paul gavard-perret

Claire Von Corda, En grand, Lorem-Ipsum n°85. A lire sur le site.

2 Comments

Filed under Chapeau bas, Poésie

2 Responses to Claire Von Corda, En grand

  1. Patrick

    Bon­jour,

    Merci de men­tion­ner mon nom pour le cré­dit photo : Patrick BORIES.

    Cor­dia­le­ment

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