Gilles Vervisch, Star Wars, la philo contre-attaque

Que la philo soit avec toi !

Le décryp­tage de la saga Star Wars par Gilles Ver­visch, pro­fes­seur de phi­lo­so­phie de son état, est l’exemple même de ce que la ren­contre entre l’enter­tain­ment d’un block­bus­ter, films à gros bud­gets et à gros reve­nus (ou, en l’occurrence, une série de block­bus­ters) et l’aridité du concept peut pro­cu­rer de réjouis­sant.
Réso­lu­ment ins­crit dans la veine de la « pop phi­lo­so­phie » enten­dant vul­ga­ri­ser et dépous­sié­rer à la fois les auteurs comme les textes fon­da­teurs de la tra­di­tion phi­lo­so­phique sou­vent répu­tée éso­té­rique — pro­cédé auquel l’auteur de cette cri­tique est tout sauf hos­tile s’étant lui-même naguère ris­qué à être le co-auteur d’un essai à la thé­ma­tique iden­tique : Ensei­gner la phi­lo­so­phie avec le cinéma (éd. Les Contem­po­rains favo­ris, mars 2015) -, le moins que l’on puisse dire, au gré de la table des matières et des items qui nous est ici sou­mise, c’est que « la philo contre-attaque » bel et bien dans cet essai enlevé !

Consi­déré à juste titre par l’auteur comme un véri­table mythe contem­po­rain fon­da­teur de la « pop culture », la saga de George Lucas se trouve pas­sée au crible, afin d’interroger les per­son­nages célèbres (Dark Vador, Ana­kin et Luke Sky­wal­ker, Obi-Wan Kenobi, Han Solo, Yoda, Palpatine/ Dark Sidious… ) au prisme des réflexions (et des textes !, tou­jours bien ame­nés et com­men­tés céans) de pen­seurs tels que les stoï­ciens, Pla­ton, Hobbes, Des­cartes, Machia­vel, Kant etc.
Excé­dant, et c’est tant mieux, le contexte d’anticipation de la série et ne rechi­gnant pas, de manière ins­truc­tive, à des incur­sions du côté du cinéma (Apo­ca­lypse Now) ou de la bande des­si­née (Tin­tin et le Temple du Soleil), l’ouvrage se penche par ailleurs, à titre de fils direc­teurs, sur une série de sémillantes ques­tions dia­lec­tiques vouées à la liberté, à l’articulation entre bien et mal, à la guerre, à la poli­tique, à reli­gion et la tech­nique.
Claires et effi­caces, fort bien cor­ré­lées à telle ou telle séquence, décrite et contex­tua­li­sée, de tel ou tel épi­sode de la saga scru­tée dans tous ses volets, les ana­lyses de G. Ver­visch réus­sissent le double exploit de rendre une seconde jeu­nesse et une contem­po­ra­néité éprou­vée à des textes certes uni­ver­sels et ahis­to­riques, mais sou­vent occul­tés, et de don­ner l’envie de revoir (ou de décou­vrir pour ceux qui ne la connaî­traient) pas cette épo­pée Star Wars. Ce, de la même façon enjouée qu’a Fran­cis Méti­vier, direc­teur de cette col­lec­tion au Pas­seur d’ailleurs, de déco­der les chan­sons et musiques actuelles (rap, rock…) pour en extir­per la sub­stan­ti­fique moelle philosophique.

Ces remarques faites, on repro­chera néan­moins à l’auteur de pri­vi­lé­gier tout du long du texte un lan­gage relâ­ché — sinon vul­gaire à maintes reprises — qui ne sied aucu­ne­ment à la manière habi­tuelle qu’ont les phi­lo­sophes de s’exprimer (est-il besoin de vou­loir à tout prix « faire djeun », s’installant dans un tel relâ­che­ment cou­pable, pour rendre la phi­lo­so­phie attrac­tive ?, là est la réelle ques­tion – mais selon nous « pop » pour popu­laire ne veut pas dire, erreur à la fois ter­mi­no­lo­gique et mar­ke­ting, fami­lier ou gros­sier) et de lais­ser traî­ner, ici et là, quelques impré­ci­sions ou erreurs qui nuisent à la rigueur et la cohé­rence de l’approche.
Il est ainsi dom­mage que la 4ème de cou­ver­ture insiste sur la filia­tion qui va de « Dark Vador à Pla­ton, d’Obi-Wan Kenobi à Jocho Yama­moto » tan­dis que ce nom de Jocho ne sera pas uti­lisé dans l’ouvrage, lequel n’évoque qu’un Yama­moto Tsu­ne­moto (moment de l’ouvrage qui nous a le plus inté­ressé au pas­sage quant au lien entre les moines guer­riers samou­raïs et les che­va­liers Jedi)  : on eût aimé que nous soit pré­cisé que l’ancien samou­raï Yama­moto Jocho (1659 – 1719), auteur du Haga­kure qui est la réfé­rence du Bushido ensei­gné au Japon, est aussi connu sous le nom de Yama­moto Tsu­ne­moto, son nom avant qu’il ne se retire du monde pour deve­nir moine. Il est encore plus pré­ju­di­ciable que Gilles Ver­visch écrive à la page 139 : « En 1516, l’année même de la publi­ca­tion du Prince… » quand l’on sait que l’ouvrage de Machia­vel dans son ensemble aurait certes été com­posé entre juillet et décembre 1513 (mais avec quelques ajouts ou retouches pos­té­rieures, comme la dédi­cace écrite entre 1515 et 1516) tout en n’étant publié qu’en 1532, soit après la mort  du secré­taire flo­ren­tin (1527).

Reste que ce Star Wars, plei­ne­ment phi­lo­so­phique dans l’esprit quand ce n’est pas tou­jours dans la lettre, séduira le grand public ama­teur d’exégèse méta-1er degré, ravira les afi­cio­na­dos du savoir-faire de George Lucas et plaira aux élèves et étu­diants de phi­lo­so­phie qui trou­ve­ront là une exem­pli­fi­ca­tion, ima­gée et par­lante, de phi­lo­so­phèmes autre­ment plus abs­traits.
A lire de pré­fé­rence avec un sabre laser opé­ra­tion­nel à côté de soi.

fre­de­ric grolleau

Gilles Ver­visch, Star Wars, la philo contre-attaque, Le Pas­seur édi­teur, coll. Open Philo, sep­tembre 2015, 256 p. –18,90 €.

1 Comment

Filed under cinéma, DVD / Cinéma, Essais / Documents / Biographies

One Response to Gilles Vervisch, Star Wars, la philo contre-attaque

  1. =(:-]

    Pour élar­gir à la science-fiction en géné­ral et peut-être en plus dense sur son uti­lité phi­lo­so­phique :
    « Lit­té­ra­ture à poten­tiel heu­ris­tique pour temps incer­tains : la science-fiction comme sup­port de réflexion et de pro­duc­tion de connais­sances », dans Metho­dos. Savoirs et textes, n° 15 (« Philosophie/littérature : savoirs, textes et pra­tiques »), 2015.

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