Emily Dickinson, Nous ne jouons pas sur les tombes

Nous ne mour­rons pas ensemble

Dans l’immense cor­pus des poèmes qu’Emily Dickin­son avait laissé en vrac avant que ses proches en publient une pre­mière sélec­tion, les Edi­tions Unes pro­pose un choix selon une logique qui en vaut bien d’autres. Est retenu un an de créa­tion de la poé­tesse : 1863. C’est l’époque char­nière où l’Américaine va d’une cer­taine manière quit­ter le monde pour la réclu­sion. Toute ses thé­ma­tiques y sont assem­blées dans une sorte d’adresse à l’Absent (plus arte­fact que véri­table sujet) et qui habite la soli­tude de la « prê­tresse ». Loin de papillon­ner, cette der­nière ne cesse d’apparaître de dis­pa­raître au sein de ses récur­rences : connaître et ne pas recon­naître dans une sorte de savoir-mouvement au sein même de la fixité exis­ten­tielle où le dis­po­si­tif du silence est percé sous le regard des mots

Proche et loin­taine, la chair devient une empreinte dans l’air, elle est déjà azur et cendre, « comme si la Mer devait s’ouvrir / Et mon­trer une autre Mer ». Tout demeure néan­moins à l’état de « sup­po­si­tion » en une suite de déliai­sons au moment où Dickin­son quitte le rivage d’un cer­tain monde pour la tra­ver­sée d’un Aché­ron per­son­nel, pré­lude de mort ou d’éternité. La poé­sie doit s’enfoncer dans la nuit des temps pour venir rejoindre les innom­brables empreintes de la vie afin de révé­ler son sens secret en une sorte de litur­gie contem­pla­tive qui n’est plus seule­ment visuelle mais tac­tile.
Emily Dikin­son en appelle à l’absence de fron­tière entre le lieu sacré (l’œuvre) et le lieu ver­na­cu­laire du monde de plus en plus en retrait. La poé­sie rede­vient ce qu’elle doit être : un bijou indis­cret et ravi dans la dureté de la vie dont l’éternité est nau­frage. Elle est tra­ver­sée d’un éro­tisme imper­son­nel, un désir sans doute un peu apa­thique mais per­ti­nent dans la recherche d’une jouis­sance fleg­ma­tique et sèche. Elle reste le lieu d’une expé­rience aussi com­mune que par­ti­cu­lière, une maî­trise dis­sé­mi­née, une sur­vi­vance esthé­tique qui remonte le temps et le pousse vers sa fin dans une par­tie du ping-pong entre le sem­blable et le dis­sem­blable, entre l’exigence et l’expérience de ce qui à la fois n’a pas de fin et ne cesse de s’achever.

jean-paul gavard-perret

Emily Dickin­son, Nous ne jouons pas sur les tombes, Edi­tions Unes, 2015,  136 p. — 21,00 €.

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