André Balthazar, Encyclo-pédiste en roue libre & Lexikon

Un exer­cice d’épuisement poussé jusqu’à la hantise

Parfait irré­gu­lier de la lit­té­ra­ture, André Bal­tha­zar détruit l’essence non seule­ment du réel mais de la poé­sie. Il empêche que des suites de ron­deurs s’enveloppent les unes dans les autres. Le poète belge conduit non seule­ment là où le lan­gage se dis­sipe, mais où il n’existe plus dans la sépa­ra­tion de la proie et son ombre. Entre l’image et le babil, il lui redonne chair par un tra­vail de déca­lage, remaillage, rem­bour­rage.
C’est moins un tra­vail de décons­truc­tion qu’une pra­tique des marges là où le lan­gage devient la puis­sance para­doxale à creu­ser le monde en se démettre de tout chaî­non expan­sif. Ainsi, avec Lexi­kon, dans la plé­ni­tude lacu­naire émerge moins une nos­tal­gie éper­due de la pureté qu’une acces­sion à la réa­lité du rien qui est tout et qui devient la forme la plus accom­plie de l’ombre d’où nous sor­tons et où nous retour­nons : enten­dons le chaos.

Baltha­zar pousse jusqu’à la han­tise un exer­cice d’épuisement : à vrai dire, ce n’est même plus l’ombre qui est visible mais son dedans et sa matière vivante — même lorsque l’auteur “traîne au lit, tirant sur son plai­sir comme sur une sucette.” Des écla­bous­se­ments gonflent à coup de chi­que­naudes afin de réduire le pres­tige orgueilleux de la langue en chif­fon­nant sa face admise. La langue “prend un air d’hostie qu’un peu de salive mouille”. Le tout non sans effets pétards mais dans une dis­cré­tion abso­lue. Les textes deviennent des espaces non mor­dan­cés aussi denses et signi­fiants, en dépit (ou à cause) de leur neu­tra­lité appa­rente au moment où quelques lignes se concentrent non pour une expan­sion du monde mais pour sa rétrac­tion.
Le texte gré­sille, bous­cule le sens sous une appa­rente insou­ciance. Bal­tha­zar ne cherche plus l’hallucination mais l’accession à une sous-littéralité afin de tou­cher à des lieux incon­nus de l’être où il n’existe plus “théo­ri­que­ment” d’images pos­sibles. C’est à par­tir de cette pos­tu­la­tion que le poète invente le “blan­chis­se­ment” cher à la rhé­to­rique qui  fait de cette poé­sie quelque chose de plus abra­sif qu’abstractif là où elle semble péda­ler dans le vide.

jean-paul gavard-perret

- André Bal­tha­zar, Encyclo-pédiste en roue libre (Col­lec­tion Archives, n°7), Inédits, Centre Daily-Bul & Cie,  La Lou­vière à par­tir du 19 sep­tembre au 13 décembre 2015.
- André Bal­tha­zar, Lexi­kon » (tomes 13 à 19), Édi­tions Le Daily-Bul, 2015.

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