Entretien avec Vincent Ravalec (Bois sacré)

Des Chi­pi­bos du Pérou au bwiti Gabo­nais, Rava­lec suit les che­mins du cha­ma­nisme, bien décidé à se faire ini­tier dans chaque tra­di­tion. Les ques­tions que se posait ce lec­teur de Gurd­jieff et de Cas­ta­neda y trouvent des réponses beau­coup plus vastes qui l’incitent à rendre compte de la com­plexité de la conscience

Enfant, il rêvait d’être un artiste, mais ses doigts se refu­saient à expri­mer ses visions inté­rieures… Impa­tient, le jeune Rava­lec quitte le sys­tème sco­laire dès qua­torze ans et se frotte aux déboires de la vie active : apprenti menui­sier, ven­deur de bandes des­si­nées, assis­tant réa­li­sa­teur, régis­seur de cinéma et autres petits bou­lots appor­te­ront leur matière à ses pre­miers manus­crits et lui insuf­fle­ront le culot néces­saire pour se tailler une place dans le pay­sage lit­té­raire fran­çais. Depuis le début des années 90, l’écrivain pari­sien régale ses lec­teurs d’innombrables nou­velles et romans révé­la­teurs des rocam­bo­lesques dérives de la société en milieu urbain. Pour cela, il dis­pose d’un talent indé­niable : la capa­cité de subli­mer par un humour ner­veux les pires galères en aven­tures ini­tia­tiques. Le suc­cès est au rendez-vous : Prix de Flore en 94, lec­to­rat fidèle en constante pro­gres­sion qui pro­pulse ses romans dans le cercle des best-sellers nationaux.

Au tour­nant de l’an 2000, Vincent Rava­lec entame un nou­veau cycle d’écriture, carac­té­ris­tique d’un regard plus uni­ver­sel sur l’existence. Lui qui n’avait jamais dépassé les abords du péri­phé­rique part pour­suivre autour du monde les mythes de son ado­les­cence. Des Chi­pi­bos du Pérou au bwiti Gabo­nais, Rava­lec suit les che­mins du cha­ma­nisme, bien décidé à se faire ini­tier dans chaque tra­di­tion. Les ques­tions que se posait ce lec­teur de Gurd­jieff et de Cas­ta­neda y trouvent des réponses beau­coup plus vastes qui l’incitent à rendre compte de la com­plexité de la conscience. Il intro­duit cette pers­pec­tive élar­gie comme thème cen­tral de son pro­jet du JEU : la pos­si­bi­lité d’accès à la connais­sance par le biais de l’art.

Fré­dé­ric Grol­leau : Tu fais paraître en même temps Les nou­velles du monde entier, tome 1 au Seuil, Wendy 2 ou les secrets de Poli­chi­nelle chez Flam­ma­rion, le poème gra­phique Une orange rou­lant sur le sol d’un par­king et s’illuminant de toutes les cou­leurs de l’univers au Diable Vau­vert. A cela s’ajoutent deux textes cen­trés sur le cha­ma­nisme : Bois sacré, ini­tia­tion à l’Iboga (encore au Diable) et Ngenza aux Presses de la Renais­sance. Cela fait beau­coup de livres en deux mois d’intervalle et, tan­dis que nombre d’individus s’insurgent contre la masse de livres qui sort chaque mois, tu indiques dans un petit mot des­tiné à la presse que tu pré­fère concen­trer ton tir d’artillerie pour être sûr de ne pas être oublié…

Vincent Rava­lec : Ca ne pro­cède pas vrai­ment de cette logique, même si je l’explique ainsi après coup. Il se trouve que j’aime écrire et que l’écriture me sert de sup­port expé­ri­men­tal par rap­port à des expé­rience exis­ten­tielles que je mène par ailleurs. Or ces expé­riences se sont avé­rées au fil du temps de plus en plus com­plexes. La forme lit­té­raire m’a ainsi per­mis de les inté­grer et les faire par­ta­ger, mais cela requé­rait de mul­tiples facettes. Ce qui explique que je ne fasse pas paraître ici cinq romans : il s’agit d’un roman, d’un recueil de nou­velles, un recueil de poé­sie gra­phique, un livre eth­no­lo­gique sur une tra­di­tion de gué­ri­son afri­caine (accom­pa­gné d’un livre de pho­tos sur cette même expé­rience, vue plus sub­jec­ti­ve­ment par moi) qui ren­voient à cha­cune de ces facettes.

En ce qui me concerne, je consi­dère qu’il vaut mieux écrire des livres (sans qu’il y ait obli­ga­tion ensuite pour les gens de les ache­ter ou de les lire !) que fabri­quer des armes, je ne me pose donc pas la ques­tion de la quan­tité des oeuvres…

Au regard de cet uni­vers qui est le tien, de l’initiation, de l’éveil à une sen­so­ria­lité autre, à des uni­vers dis­sem­blables, com­ment travailles-tu pour arti­cu­ler tous ces prisme-là : cela sup­pose de l’écriture auto­ma­tique, des cahiers secrets ?

Dès que j’ai com­mencé à écrire, j’ai inté­gré l’écriture dans mon pro­ces­sus men­tal. J’écris qua­si­ment en même temps que je vis. Au moment où je com­mence à écrire le livre s’est déjà cris­tal­lisé dans mon esprit. Pen­dant 10 ans j’ai écrit non stop toute la jour­née, main­te­nant j’écris moins, mais l’expérience aidant, j’arrive à davan­tage conden­ser mes sujets. La plu­part de tes textes se déclinent autour du Jeu, de quoi s’agit-il ? Et com­ment les pas­se­relles entre les divers édi­teurs se mettent-elles en place ? D’un point de vue artis­tique, il a fallu que je me crée un outil qui soit suf­fi­sam­ment vaste par rap­port à ce que j’avais envie de vivre et suf­fi­sam­ment souple pour pou­voir se modu­ler. Je me suis dit que j’allais faire un cycle évo­lu­tif et arbo­res­cent (en rela­tion avec site Internet-miroir) de 12 livres car ça cor­res­pon­dait aux 12 mois ter­restres et en même temps au calen­drier solaire de l’univers. Comme j’étais isolé dans les expé­riences que je menais, foca­lisé sur ce que je vou­lais décou­vrir, j’avais envie d’être en contact avec du monde et de voir ainsi com­ment d’autres gens avaient perçu leurs propres expé­riences à ce propos !

De manière plus pro­saïque il se trouve que tous les édi­teurs que je connais sont des gens de qua­lité, qu’ils ne me consi­dèrent pas comme une per­sonne vénale et que je fais des efforts pour inté­grer leurs impé­ra­tifs de ren­ta­bi­lité éco­no­mique à eux, ce qui explique que le Jeu puisse se rami­fier entre divers édi­teurs. On essaie tous ensemble de navi­guer de la manière la plus judi­cieuse pos­sible dans le sys­tème qui se pré­sente à nous. De toute façon le livre de poé­sie n’a pas pour voca­tion, tant il est par­ti­cu­lier, de deve­nir un best sel­ler mon­dial ; on sait que les recueils de nou­velles ne car­tonnent pas tou­jours au box-office. J’espère en revanche que Wendy aura une belle car­rière lit­té­raire, non pas parque j’ambitionne de deve­nir riche et célèbre mais parce que j’ai essayé d’y mettre beau­coup de moi-même par rap­port à des choses que j’avais perçues.

Est-ce que tu te défi­nis aujourd’hui, au nom de toutes tes expé­riences, comme une sorte d’initiateur ? de péda­gogue de cet univers-ci ?

C’est une posi­tion assez déli­cate ; j’ai lu ado­les­cent nombre de livres éso­té­riques (la col­lec­tion « L’aventure mys­té­rieuse » chez J’ai Lu) qui m’avaient inter­pellé mais dont le contenu me parais­sait tara­bis­coté. Et je suis allé sur place, avec les sou­ve­nirs que j’en avais, voir si c’était vrai ou pas. J’ai pris mon bal­lu­chon et fait mon Tin­tin… Par exemple je me suis rendu à Nasqa afin de véri­fier de mes propres yeux si oui ou non des extra-terrestres y avaient atterri ! J’ai fait beau­coup d’expériences, qui étaient tel­le­ment fortes par rap­port au déco­dage habi­tuel qu’on en fait avec notre « men­tal », que les retrans­crire ensuite ne pou­vait conduire qu’à du tara­bis­coté et du fumeux…

Tout ce que j’avais lu était donc à la fois vrai et faux. Et je suis dans cette situa­tion : j’ai réagencé ce que j’ai vécu avec mon propre men­tal — qui n’est pas for­cé­ment fait pour vivre toutes ces expé­riences) mais je n’échappe pas au bizarre ! Je prends donc le côté ini­tia­teur avec des pin­cettes, car je pense que cha­cun a sa propre vérité et sa propre manière d’intégrer l’expérience. Je suis donc très dubi­ta­tif sur ma capa­cité à trans­mettre cela. Les livres sont certes utiles mais il ne faut pas trop s’y réfé­rer selon moi car la vraie réfé­rence, c’est à l’intérieur de vous que vous allez la com­prendre. Je ne pré­tends être ini­tia­teur qu’au sens où j’ai vu que la vérité exis­tait et que je vous conseille d’aller voir par vous-même com­ment vous allez l’intégrer.

Com­ment qualifies-tu cette expé­rience autour de laquelle tu tournes depuis de nom­breuses années ?

En voya­geant j’ai pu mesu­rer l’épaisseur de ma can­deur. J’avais une vision naïve de ce qu’était la connais­sance, je croyais que je me diri­geais vers une sorte d’illumination mys­tique. Mais il y a de nom­breuses tra­di­tions qui se sont cha­cune forgé des outils spé­ci­fiques au fil de l’histoire parce que le monde n’est pas le même selon les endroits de la pla­nète. Le fon­de­ment du cha­ma­nisme au départ a reposé sur les ana­lo­gies opé­rées par l’esprit humain avec la nature. Le concept de nature variant selon les lieux l’esprit s’est forgé des outils qui n’ont pas débou­ché sur les mêmes visions du monde — mais sont j’ai décou­vert au fur et à mesure de mes voyages qu’elles sont toutes vraies en même temps ! Face à cette mul­ti­con­cep­tua­lité de l’univers on a plu­tôt ten­dance à se foca­li­ser sur une expli­ca­tion alors qu’il s’agit au contraire de par­ve­nir à inté­grer ce phé­no­mène de complexité.

Une révé­la­tion qui passe par la consom­ma­tion de sub­stances, telles l’ayahuesca ou l’iboga, cen­sées accé­lé­rer cette ouver­ture de la connais­sance ?

Par­tout où j’ai voyagé j’ai ren­con­tré des cha­mans, des sor­ciers, des magi­ciens. J’ai lu dans Tin­tin et Corto Mal­tese que ces gens-là savent pour­quoi on est là. Je leur ai posé la ques­tion, ils m’ont accueilli, m’ont prié de m’asseoir et m’ont demandé si j’allais être capable de sup­por­ter ce qu’ils allaient m’expliquer. J’ai fait des expé­riences avec ou sans psy­cho­tropes. Très fran­che­ment je n’ai pas de « goût » pour les psy­cho­tropes, ça fait 15 ans que je ne bois pas une goutte d’alcool, que je ne fume pas de tabac et que je fais de la course à pied et de la médi­ta­tion. Je suis un gar­çon sain et je me suis dit que j’allais me faire explo­ser le cibou­lot. Et j’ai été en effet ini­tié à l’ayahuesca et à l’iboga. Ce sont de dures ini­tia­tions qui ne sont pas évi­dentes à vivre psy­chi­que­ment par­lant. Une fois qu’on les a vécues c’est un atout mais je ne conseille­rais à per­sonne de le faire car je ne pense pas que ce soit là un miracle uni­ver­sel ! Ce sont des outils qu’il faut savoir uti­li­ser à bon escient dans un cadre particulier.

Pro­pos recueillis par Fré­dé­ric Grol­leau, intro par Stig Legrand

Remer­cie­ments à l’espace Autre­ment (77 fbrg saint-antoine 75011 Paris) qui nous a acueillis dans son cha­leu­reux salon de thé pour cet entretien

   
 

-  Nou­velles du monde entier, Seuil, 256 p — 18,00 €.
-  Wendy 2 ou les Secrets de Poli­chi­nelle, Flam­ma­rion, 399 p. — 20,00 €.
-  Bois sacré (avec Agnès Pai­che­ler, Mal­lendi), Au Diable Vau­vert, 336 p. — 21,00 €.
-  Ngenza, céré­mo­nie de la connais­sance, Presses de la Renais­sance, 94 p. — 29,00 €.

 
     
 

7 Comments

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7 Responses to Entretien avec Vincent Ravalec (Bois sacré)

  1. Sandra C.

    bon­jour j’ai beau­coup appré­cié cet entre­tien :) cela résonne avec un auteur amé­ri­cain que j’ai ren­con­tré .…http://larevolutioninterieure.com/2012/09/03/rencontre-avec-un-explorateur-de-la-conscience-humaine/ et qui fonc­tionne sur le même mode. Je serai heu­reuse de recueillir vos impres­sions :) belle décou­verte pour moi ce site et ce projet !!!!

    • lelitteraire.com

      bon­jour,
      merci de votre retour, je ne connais pas l’ouvrage de Zack Hun­ter mais il y a en effet des points com­muns inté­res­sants. j’aimerais beau­coup pou­voir le dif­fu­ser sur le site du lit­te­raire avec ren­voi vers votre site si le coeur vous en dit. leitteraire.com est ici cours de refonte (par rap­port à son url clas­sique : www.lelitteraire.com), ce qui explique que vous n’avez peut-être pas lu d’autres articles consa­crés à la ques­tion du cha­ma­nisme et autres échap­pe­ments dans nos colonnes mais il y en a… notam­ment le long entre­tien dédié à pierre bon­nasse.
      comme je cherche à élar­gir le cercle de nos rédac­teurs, pour­quoi ne feriez-vous pas aussi un article de temps à autre dans nos colonnes, à votre rythme ? ce serait avec plai­sir et vous pour­riez rece­voir des ser­vices de presse dédiés…
      ami­tiés,
      fg

      • Sandra C.

        Je vous remer­cie de votre intérêt…je col­la­bo­re­rai à votre maga­zine avec bonheur…j’aime bien les écri­vains, j’aime bien ceux qui bougent les lignes et qui tentent des expé­riences, j’aime ceux qui délivrent un mes­sage à tra­vers l’écriture…j’aime les per­son­nages …j’aime les explo­ra­teurs de la conscience..;les psy­cho­nautes .…d’où mon inté­rêt pour le cha­ma­nisme .…dites moi ce qui vous inté­resse …je pars à mont­réal fin octobre…histoire de prend un grand bol d’oxygène et de trou­ver de nou­velles idées, de ren­con­trer de nou­velles per­sonnes et de rame­ner un peu d’air frais en France. Si vous avez des pistes inté­res­santes …je suis preneuse…ce serait l’occasion de vous pro­po­ser un article, un por­trait ou un entre­tien.…
        vous pou­vez m’envoyer vos coor­don­nées sur larevolutioninterieure@gmail.com

        on en parle quand vous voulez !!!

        • lelitteraire.com

          merci, bonne nou­velle !
          j’avoue ne pas etre un spé­cia­liste de cette question-ci (qui m’intéresse sous l’angle phi­lo­so­phique) mais disons, plus lar­ge­ment, que toutte prise de posi­tion cri­tique d’un espriit libre est sti­mu­lante (et il y en a beau­coup sur leitteraire.com depuis 2004 !)
          un chro­ni­queur de mon­treal m’a contacté via word­press pour m’envoyer qq papiers bd, la com­mu­nauté s’élargit,c’est bien :-) je suis débordé par la refonte du site et les autres acti­vi­tés mais je vais vous envoyer mes coor­don­nees et on pourra trou­ver le temps de par­ler !
          en atten­dant je vous conseille de lire les papiers de stig legrand sur le site (rubrique inclas­sables et romans, fan de rava­lec, de la psyche-culture, et qui devraient vous plaire.
          a bien­tot
          fg

      • Sandra C.

        pas de souci pour réuti­lisé le papier sur zack hun­ter :) je sais que ça a pas mal inté­ressé les gens au vue des com­men­taires face­book que j’ai eu !!! dif­fu­sons :)

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