Entretien avec Bi Feiyu (L’Opéra de la lune )

Invité au Salon du livre, l’écrivain chi­nois Bi Feiyu nous aac­cordé un entre­tien — avec l’indispensable concours d’Isabelle Rabut

© Pino
Après avoir été ensei­gnant puis jour­na­liste, Bi Feiyu se consacre à l’écriture depuis plu­sieurs années. Il est membre de l’Association des écri­vains du Jiangsu et vit à Nan­kin. Cer­taines de ses œuvres ont été récom­pen­sées, notam­ment par le prix Lu Xun. Deux de ses romans viennent d’être publiés en France : L’Opéra de la lune aux édi­tions Phi­lippe Pic­quier, et De la barbe à papa un jour de pluie chez Actes Sud. Invité au Salon du livre, il a très aima­ble­ment consenti à nous accor­der une inter­view qui, sans le secours d’Isa­belle Rabut, tra­duc­trice du roman paru chez Actes Sud, n’aurait pu être menée à bien…

Pourriez-vous évo­quer votre par­cours d’écrivain ?
Bi Feiyu :
J’ai com­mencé à écrire dans les années 80. Sur­tout des nou­velles et des romans courts. J’écris main­te­nant des textes plus longs.

Est-ce que les dis­tinc­tions occi­den­tales entre roman et nou­velle ont cours en lit­té­ra­ture chi­noise ?
En fait la dis­tinc­tion est venue d’Occident. Mais ce n’est pas seule­ment une ques­tion de nombre de signes ; il y a une réelle dif­fé­rence entre “nou­velle”, “roman court” et “roman”. Et pour s’exprimer dans cha­cun de ces trois domaines, il faut une longue préparation.

Le roman était jadis un genre méprisé en Chine. Où en sont les choses aujourd’hui ?
Autre­fois, en effet, le sta­tut du roman n’était pas très élevé. Ce mépris avait des rai­sons his­to­riques : en Chine, c’est la poé­sie qui a la place la plus haute dans l’échelle des valeurs lit­té­raires, la Chine, c’est le pays de la poé­sie. Mais cet état de choses est très ancien ; ce mépris dans lequel on tenait le roman a com­mencé de dis­pa­raître dès le début du XXe siècle.

Le titre fran­çais de votre livre, De la barbe à papa un jour de pluie est celui du poème placé en épi­graphe. Correspond-il au titre chi­nois ?
Oui, en chi­nois aussi c’est le titre du poème. Ce que dit celui-ci m’a frappé ; ça cor­res­pon­dait à mon état d’esprit au moment où j’ai écrit mon texte, et c’est aussi en rap­port avec le per­son­nage de Hong­dou, donc j’ai choisi de don­ner à mon récit le titre de ce poème. Mais en fait le titre importe peu, j’ai choisi de mettre ce poème en épi­graphe pour son contenu, pas pour son titre. C’est un peu comme lorsqu’un homme tombe amou­reux d’une femme : il ne se sou­cie pas de son nom !

Il est pré­cisé que Barbe à papa un jour de pluie est paru en Chine avec des coupes. Pourriez-vous nous indi­quer quels pas­sages ont été cen­su­rés et, dans la mesure du pos­sible, pour­quoi ?
Les pas­sages sup­pri­més sont ceux qui com­portent des des­crip­tions sexuelles. Mais j’ai demandé à Isa­belle de les réta­blir. Cela dit, tous les pas­sages où la sexua­lité est pré­sente n’ont pas été sup­pri­més… seuls cer­tains l’ont été, et il m’est dif­fi­cile de vous dire pourquoi.

La dis­po­si­tion typo­gra­phique des dia­logues dans De la barbe à papa un jour de pluie est assez inha­bi­tuelle — du moins dans le texte fran­çais. Cela est-il aussi per­cep­tible dans la ver­sion ori­gi­nale ?
Oui. Quand j’ai écrit ce texte, en 1992, je m’intéressais beau­coup aux pro­blèmes tou­chant à la nar­ra­tion ; comme Ge Fei par exemple, et beau­coup d’écrivains de ma géné­ra­tion. C’était l’époque des expé­ri­men­ta­tions d’avant-garde — repré­sen­tées par ce que fai­sait Ge Fei — et l’on réflé­chis­sait beau­coup à tous les aspects de la mise en récit. Là, je vou­lais abso­lu­ment inté­grer dans la nar­ra­tion tout ce qui passe dans la tête des per­son­nages, d’où cette dis­po­si­tion par­ti­cu­lière des dia­logues. Mais ensuite, j’ai aban­donné cette voie. Dans mes textes ulté­rieurs, les dia­logues ont leur forme nor­male. De la Barbe à papa un jour de pluie est le seul de mes romans où l’on trouve ce genre de trai­te­ment des dialogues.

Dans ce roman, le pre­mier para­graphe et le der­nier sont rigou­reu­se­ment iden­tiques. Quel est le sens d’une telle com­po­si­tion ?
J’ai écrit ce texte à l’âge de 28 ans ; j’avais à la fois envie de créer, mais aussi d’imiter et j’ai voulu faire un cercle à la manière de Bor­gès. Mais en adop­tant cette forme cir­cu­laire, je me réfère aussi, et sur­tout, à cette sorte de cir­cu­la­rité qui me paraît régir nos vies, le monde en général.

Dans l’idée de cercle, il y a aussi la notion de claus­tra­tion…
Oui, mais ce n’est pas cette idée de monde sans issue qui prime chez moi, c’est vrai­ment une réfé­rence au cycle uni­ver­sel : les jours qui com­mencent, s’achèvent puis com­mencent à nou­veau, les sai­sons, les années… etc. C’est une repré­sen­ta­tion de l’histoire qui se répète.

Dans L’Opéra de la lune aussi bien que dans De la barbe à papa un jour de pluie, la musique est très pré­sente. Est-ce que cela cor­res­pond à un inté­rêt pro­fond de votre part ?
Je n’ai jamais tra­vaillé la musique de manière appro­fon­die, mais vers 7, 8 ans, j’ai tra­versé une période où j’avais une vraie pas­sion pour la musique. Avec les condi­tions d’éducation de l’époque, il n’était pas ques­tion que je devienne musi­cien ; c’est resté un rêve. Mais j’ai joué du erhu [sorte de vio­lon à deux cordes. Ndt]. Pas de piano parce que j’ai grandi à la cam­pagne, et il a fallu que j’attende d’aller en ville pour voir à quoi res­sem­blait un piano… et lorsque j’ai appuyé sur les touches la pre­mière fois, j’en ai sur­sauté tel­le­ment le son pro­duit m’a surpris !

On devine dans ces deux romans, que l’on pour­rait d’ailleurs “mettre en regard”, une inter­ro­ga­tion pro­fonde quant à l’identité, liée au motif du miroir. Est-ce une pro­blé­ma­tique récur­rente chez vous ou bien est-elle propre à ces deux textes ?
Non, c’est un thème constant dans l’ensemble de mes œuvres, de même que le motif du miroir qui est un sym­bole pour moi. C’est un sym­bole très fort, celui de la recherche de sa propre vérité, du désir de se trou­ver soi-même. Je suis tout a fait d’accord avec le paral­lèle que vous éta­blis­sez entre les deux textes. Je crois qu’il y a deux sortes d’écrivains, ceux qui à chaque livre vont écrire des choses très dif­fé­rentes, et ceux qui à tra­vers leurs œuvres suc­ces­sives vont plus ou moins trai­ter des mêmes thèmes. J’appartiens à cette seconde caté­go­rie. Et il est très pos­sible que jusqu’à ma mort je conti­nue à écrire à par­tir des mêmes thèmes.

Vos deux romans posent cha­cun, me semble-t-il, la ques­tion de l’héroïsme — ou du moins d’une sorte d’” obli­ga­tion de résul­tat ” à laquelle les per­son­nages ne satis­font pas…
Pour moi, Hong­dou n’est pas un héros, c’est un per­son­nage ordi­naire. Ce sont les autres, autour de lui, qui le veulent héroïque. Mais lui non, et il reven­dique ce droit de n’être pas un héros. S’il avait des sen­ti­ments, des souf­frances de héros, il ne m’intéresserait pas ! Dans le cas de Hong­dou, oui, il y a une “obli­ga­tion de résul­tat” à laquelle il ne satis­fait pas, mais il est poussé par son père. Dans L’Opéra de la lune, ce n’est pas du tout la même chose : c’est Xiao Yan­qiu qui a un désir, per­sonne ne la pousse. Mais elle n’a rien d’héroïque, elle essaie juste de faire ce qu’elle a envie de faire, c’est tout… et qu’elle soit actrice ou ensei­gnante, le pro­blème est tou­jours de savoir ce que l’on veut faire, et de par­ve­nir à ses fins. Je pense que la base de mes récits, ce sont les gens les plus ordi­naires — quand bien même il s’agit d’une actrice : elle a des pré­oc­cu­pa­tions ordi­naires, et c’est pour ça que je la dépeins dans sa vie quo­ti­dienne, que je ne raconte pas sa carrière.

Quel est géné­ra­le­ment le point de départ de vos textes de fic­tion ?
Je vou­drais tout d’abord pré­ci­ser que ces his­toires n’ont rien d’autobiographique. Je n’ai jamais connu d’actrice d’opéra, ni per­sonne qui res­semble à Hong­dou. Il y a bien sûr des élé­ments qui pro­viennent de la vie réelle, mais les images, en par­ti­cu­lier, sont de mon cru. En ce qui concerne l’opéra, par exemple, j’ai effec­ti­ve­ment lu beau­coup de livres là-dessus, mais pas spé­cia­le­ment pour pré­pa­rer ce récit. Jusqu’à pré­sent, je par­tais de la réa­lité envi­ron­nante pour créer une fic­tion, géné­rer des images, main­te­nant j’ai une démarche oppo­sée : je puise d’abord dans mon ima­gi­na­tion puis je fais “des­cendre” cela dans la réalité.

 

Com­ment se passe votre col­la­bo­ra­tion avec vos tra­duc­teurs ?
Eh bien jusqu’à main­te­nant, je n’avais pas de rela­tions par­ti­cu­lières avec mes tra­duc­teurs, mais Isa­belle est deve­nue une amie ! et je la remer­cie car, dans mon entou­rage, on a trouvé que le livre avait été très très bien traduit.

 

Êtes-vous un écri­vain vedette, en Chine ?
Non, pas vrai­ment… mes livres se vendent bien, je suis plu­tôt content, mais je ne fais pas par­tie des auteurs de best sel­lers. De toute façon, ce n’est pas une ques­tion qui me pré­oc­cupe beaucoup…

 

Quels sont vos pro­jets, aujourd’hui ?
Je suis en train d’écrire un roman qui se déroule à la cam­pagne, en 1976, au moment de la chute de la Bande des quatre. Un de mes romans, Yu Mi, est en cours de tra­duc­tion en France et sor­tira sans doute au moins d’août.

   
 

Pro­pos recueillis par isa­bellle roche le 21 mars 2004 au Salon du livre de Paris, avec le pré­cieux concours d’Isabelle Rabut, tra­duc­trice et direc­trice de la col­lec­tion “Lettres chi­noises” aux édi­tions Actes Sud.

 
     
 

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