Le Tsar brutal et réformateur
L’histoire de la Russie est marquée par une constante hésitation entre l’ouverture en direction de l’Occident et l’exaltation des valeurs propres à la civilisation russe. Aujourd’hui, l’idéologie de Vladimir Poutine s’inscrit dans le second courant. C’est pourquoi on lira avec intérêt la très dense biographie du tsar Pierre Ier de Francine-Dominique Liechtenhan. Au moment où la France commémore le tricentenaire de la mort de Louis XIV, on s’aperçoit que le tsar partage avec son contemporain un certain nombre de traits communs : une enfance marquée par des troubles, le rejet de la capitale historique au profit d’une nouvelle résidence, l’ambition d’un Etat moderne et fort, des guerres longues et difficiles contre des ennemis « historiques » qui permettent d’asseoir la puissance politique.
Cela dit, Pierre Ier reste l’héritier de l’histoire russe : un pays arriéré qu’il a voulu occidentaliser par la force, entreprise – il faut le reconnaître – couronnée de succès. Toutefois, son gouvernement demeure marqué par une violence inouïe qui contribuait à l’époque à rejeter la Russie dans les ténèbres de « l’asiatisme » et qui ravagea sa propre famille lors du conflit avec son fils héritier.
De plus, le tsar réformateur, passionné par les questions maritimes, éprouva une profonde admiration moins pour la France du Roi-Soleil et de la Régence que pour les Provinces-Unies, archétypes de la puissance maritime à laquelle il rêva pour la Russie. Saint-Pétersbourg ressemble en vérité davantage à une ville hollandaise qu’à Paris !
Tous les aspects du règne sont soigneusement étudiés dans cet ouvrage qui fait le tour de bien des questions, notamment toute la politique extérieure du tsar et ses relations avec la Pologne, la Suède mais aussi les Etats allemands avec lesquels la Russie noue des liens qui demeureront… jusqu’à aujourd’hui.
Ce règne a marqué l’entrée de la Russie dans l’Europe de son temps. Elle n’en est plus ressortie depuis.
frederic le moal
Francine-Dominique Liechtenhan, Pierre le Grand. Le premier empereur de toutes les Russies, Tallandier, mai 2015, 686 p. — 27,50 €.