Les portraits de Nicolas Hilfiger contrarient l’espace qu’ils habitent. L’artiste les dissimule en partie, il lui importe de ne pas révéler la totalité de leur entité. Par cette acrobatie, le peintre suggère une part de manque. En morcelant le corps, cela lui permet de faire des mises au point sur une zone souhaitée, afin de mettre en valeur ce qui s’y passe. S’y révèle dans un moment donné ce que son propre corps raconte. À la manière d’un archéologue, il accumule des traces de vie d’un présent tombé tout juste dans le passé, il rassemble diverses sensations, ressentis, preuves du vivant.
Cela permet non seulement à Hilfiger d’évoquer le corps de le femme ou de l’homme dans sa propre temporalité mais aussi, et non sans humour, de proposer de multiples clins d’œil à l’histoire de l’art.
Il en résulte que l’artiste laisse souvent la part belle à l’anomalie volontaire et à la feinte de maladresse. Le corps devient un terrain foisonnant et empirique. A la finitude de la chair répondent les opérations à traits ouverts que l’artiste propose. L’ablation figurale devient un acte chirurgical — à moins que ce soit le contraire. Et Jean Maison a raison de souligner l’évacuation de tout spleen face à ce qui normalement se délite. La dégradation quotidienne fait place à ce que le peintre ouvre ou agglomère et où le portrait acquiert une nouvelle parure — parfois avec une préciosité. Elle devient la nouvelle incarnation de l’enveloppe charnelle.
Bref, Nicolas Hilfiger offre au corps une matérialité nouvelle, figée dans le temps. Mais, exposés ensemble, ces sortes d’instantanés affirment paradoxalement l’éclatement organique et temporel. Parfois, l’artiste multiplie les empreintes d’une même partie de l’anatomie ou d’une même image « classique » mais modifiée. Il y va de la précision et de l’acuité d’un regard sans concession. Chacune de ces séries propose une interprétation spécifique des rapports entre l’organique et le temporel, la nature et l’histoire de l’art dont l’unité plastique, tout comme la cohésion du corps, semble anéantie.
jean-paul gavard-perret
Jean Maison, L’atelier Nicolas Hilfiger, Editions le Bateau Fantôme, 2015, 23 p. — 15,00 €.