Fragments de seuils et d’indices
Le peintre israélien Ra’Anan Levy est hanté par la perte et le vide. Sa peinture explore les appartements désertés, les détails inertes du quotidien et la main humaine (dont le modèle est la sienne). Ces thématiques remettent en cause la notion de sujet. Tout semble « en place » là où bizarrement l’artiste ne cesse de créer des vertiges jusque dans ce qui devient des vestiges du monde.
Sa première série exposée en 2013 montrait un sorte d’équilibre, à l’inverse La suite joue de la cassure. Entre autres, dans la peinture de portes vacillantes ou dégondées. Surgit comme l’écrit Alain Jaubert un passage « De l’enfer ou du paradis… De la vie ou du trépas… ». Les portes restent les seuils qui ouvrent sur l’incertitude. On ne sait ce qui se cache derrière d’autant que certaines d’entre elles sont projetées à terre.
Le plus souvent (en dehors des mains), la présence humaine est absente — néanmoins elle rôde implicitement. A ce titre, la main est essentielle. Elle représente la présence et la force humaine. La vie est là mais la mort aussi : la main tente de devenir l’appel du désir et d’en prolonger l’ « envoi » face aux espaces où joue le manque dont l’artiste s’empare.
Surgit toujours chez Ra’Anan Levy, qui vit désormais entre Paris et Florence, l’émotion absolue par l’intensité. Il y a le vertige et pourtant la lucidité, l’acuité par delà la sensation même. Il faut glisser dans chaque toile par petits bouts de ruines. La peinture est envoyée et offerte en une sorte de cérémonial délétère. Regardant avec attention de telles toiles, le spectateur comprend combien et comment elles propulsent dans le trouble puisqu’elles indiquent le seuil d’un centre où le chemin du regard se perd en une lumière étrange.
jean-paul gavard-perret
Ra’anan Levy, La suite, exposition du 11 septembre au 31 octobre 2015, Galerie Maeght, Paris.