Christine Angot aime à se faire passer pour une tantine handicapée. Pendant les repas de famille, elle revendique sa place au haut bout de table. C’est plus pratique, non pour ses béquilles, mais pour que tout le monde l’admire. Elle parle en prononçant bien toutes les syllabes, mais pas trop parce qu’elle n’a pas que ça à faire. A la fin du repas, on lui demande de poser sur les escaliers devant la maison, histoire d’avoir une photo d’elle en plein cadre. En ouvrant l’album on l’évoquera en disant : « Là, tu vois, c’est la tantine Christine, une fille qui n’a pas eu beaucoup de chance dans la vie ». Elle est toujours habillée sobrement, ce qui la catapulte dans la catégorie élastique des femmes importantes qui ne se fendent jamais d’un sourire.
Si on n’a jamais lu une seule page de cette écrivaine rangée dans la case controversée de l’autofiction, qu’importe : sachons qu’elle s’élève au rang de paonne et parfois de poulette qu’un père aurait pourri lentement mais efficacement les quinze premières années de sa vie. Elle en a fait son fonds de commerce pour s’exhausser — via sa mère — au rang des Elues. Plus question de lever un sourcil perplexe face à ses livres. Dame patronnesse échappée de sa paroisse, elle se veut une nouvelle Carson McCullers qui naviguerait entre le bouddhisme tibétain, le néothomisme en tant que nouvelle reine du peuple du Livre. Les siens sont des atouts formidables à son ego même si elle prétend le contraire.
Elle appartient à ces écrivains qui considèrent que la seule émotion digne d’être manifestée est l’irritation. Chez certains elle provoque de l’urticaire, chez d’autres une vocation littéraire. Elle voudrait que la lire revienne à participer à un match de boxe. Elle ne ménage ni ses personnages, ni ses lecteurs. Juste sa personne. De plus, et comme elle possède la force de frappe d’un bûcheron qui ne se permet jamais de plaisanteries de derrière les fagots, elle voudrait que personne ne ressorte indemne avec son histoire tant de fois ressassée. Pour le réaliser elle ne cesse de mettre en scène son corps en pleine puberté. il bouge comme à cet âge-là : tantôt avec un air exténué, tantôt en sautant comme des grenouilles qu’on viendrait d’électrifier.
Pour elle, la littérature serait le seul moyen de se donner une identité. Ce qui prouve un manque sérieux d’être mais pas de prétention. A l’aise avec ses certitudes, elle feint de proposer une littérature de mise à l’épreuve. Mais tout reste à l’état d’une fable égotique dont apparemment lecteurs et lectrices se repaissent comme s’ils trouvaient là un moyen de jouer avec le feu. Restent pourtant ici une radicale insuffisance de l’écriture en cendres, le manque d’épaisseur et un fond de vacuité sous fond de désespoir dans l’impossibilité de l’amour sinon pour sa propre personne.
jean-paul gavard-perret
Christine Angot, Un amour impossible, Flammarion, 2015, 218 p. — 18,00€.