Christine Angot, Un amour impossible — Rentrée 2015

Ecto­plasma

Chris­tine Angot aime à se faire pas­ser pour une tan­tine han­di­ca­pée. Pen­dant les repas de famille, elle reven­dique sa place au haut bout de table. C’est plus pra­tique, non pour ses béquilles, mais pour que tout le monde l’admire. Elle parle en pro­non­çant bien toutes les syl­labes, mais pas trop parce qu’elle n’a pas que ça à faire. A la fin du repas, on lui demande de poser sur les esca­liers devant la mai­son, his­toire d’avoir une photo d’elle en plein cadre. En ouvrant l’album on l’évoquera en disant : « Là, tu vois, c’est la tan­tine Chris­tine, une fille qui n’a pas eu beau­coup de chance dans la vie ». Elle est tou­jours habillée sobre­ment, ce qui la cata­pulte dans la caté­go­rie élas­tique des femmes impor­tantes qui ne se fendent jamais d’un sou­rire.
Si on n’a jamais lu une seule page de cette écri­vaine ran­gée dans la case contro­ver­sée de l’autofiction, qu’importe : sachons qu’elle s’élève au rang de paonne et par­fois de pou­lette qu’un père aurait pourri len­te­ment mais effi­ca­ce­ment les quinze pre­mières années de sa vie. Elle en a fait son fonds de com­merce pour s’exhausser — via sa mère — au rang des Elues. Plus ques­tion de lever un sour­cil per­plexe face à ses livres. Dame patron­nesse échap­pée de sa paroisse, elle se veut une nou­velle Car­son McCul­lers qui navi­gue­rait entre le boud­dhisme tibé­tain, le néo­tho­misme en tant que nou­velle reine du peuple du Livre. Les siens sont des atouts for­mi­dables à son ego même si elle pré­tend le contraire.

Elle appar­tient à ces écri­vains qui consi­dèrent que la seule émo­tion digne d’être mani­fes­tée est l’irritation. Chez cer­tains elle pro­voque de l’urticaire, chez d’autres une voca­tion lit­té­raire. Elle vou­drait que la lire revienne à par­ti­ci­per à un match de boxe. Elle ne ménage ni ses per­son­nages, ni ses lec­teurs. Juste sa per­sonne. De plus, et comme elle pos­sède la force de frappe d’un bûche­ron qui ne se per­met jamais de plai­san­te­ries de der­rière les fagots, elle vou­drait que per­sonne ne res­sorte indemne avec son his­toire tant de fois res­sas­sée. Pour le réa­li­ser elle ne cesse de mettre en scène son corps en pleine puberté. il bouge comme  à cet âge-là : tan­tôt avec un air exté­nué, tan­tôt en sau­tant comme des gre­nouilles qu’on vien­drait d’électrifier.
Pour elle, la lit­té­ra­ture serait le seul moyen de se don­ner une iden­tité. Ce qui prouve un manque sérieux d’être mais pas de pré­ten­tion. A l’aise avec ses cer­ti­tudes, elle feint de pro­po­ser une lit­té­ra­ture de mise à l’épreuve. Mais tout reste à l’état d’une fable égo­tique dont appa­rem­ment lec­teurs et lec­trices se repaissent comme s’ils trou­vaient là un moyen de jouer avec le feu. Res­tent pour­tant ici une radi­cale insuf­fi­sance de l’écriture en cendres, le manque d’épaisseur et un fond de vacuité sous fond de déses­poir dans l’impossibilité de l’amour sinon pour sa propre personne.

jean-paul gavard-perret

Chris­tine Angot, Un amour impos­sible, Flam­ma­rion, 2015, 218 p. — 18,00€.

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Filed under On jette !, Romans

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