Philippe Chenaux, Paul VI. Le souverain éclairé

Paul VI, le pape qu’aime François

A l’heure où le pape Fran­çois entraîne l’Eglise catho­lique dans de nou­velles et pro­fondes réformes, il est presque urgent de se plon­ger dans le pon­ti­fi­cat de Paul VI que le pape argen­tin a d’ailleurs béa­ti­fié. La bio­gra­phie que nous pro­pose Phi­lippe Che­naux arrive donc à point nommé. Ecrite avec toute la rigueur de l’historien de renom qu’est l’auteur, elle apporte plus d’un éclai­rage sur la per­son­na­lité de ce sou­ve­rain pon­tife pré­senté comme l’homme du renou­veau de l’Eglise et du concile Vati­can II et à ce titre guère aimé des catho­liques les plus tra­di­tion­nels.
Paul VI est avant tout un intel­lec­tuel de très grande enver­gure, comme le sera son loin­tain suc­ces­seur Benoît XVI, très tôt poli­tisé et plongé dans les pro­blèmes politico-religieux de son temps. Impré­gné de culture fran­çaise, sa pas­sion de l’écriture coexiste avec celle de l’engagement pas­to­ral, d’où son manque d’entrain à entrer dans la car­rière diplo­ma­tique. C’est pour­tant au sein de la Curie qu’il gra­vit les éche­lons pour en deve­nir un des rouages essen­tiels sous le pon­ti­fi­cat de Pie XII, pape qu’il ne cessa jamais d’admirer et de défendre. Devenu arche­vêque de Milan, Mgr Mon­tini par­ti­cipe au concile Vati­can II avant d’en prendre la direc­tion en tant que pape.

Que rete­nir de ces pages denses et fort bien docu­men­tées ? D’abord, Paul VI est un défen­seur acharné du pou­voir papal, bien que son pon­ti­fi­cat ait amorcé la désa­cra­li­sa­tion de la fonc­tion pon­ti­fi­cale pour­sui­vie à marche for­cée aujourd’hui par Fran­çois. Cette défense de l’autorité suprême coha­bite mal avec la col­lé­gia­lité mise en avant par les pères conci­liaires et la fierté des cou­rants pro­gres­sistes vent debout contre la monar­chie romaine. Les heurts avec les évêques de Vati­can II sont expli­qués avec clarté dans le livre.
Ensuite, le pape Mon­tini fait face à une crise grave de l’Eglise, celle des années 1960 et 1970, crise de la foi certes mais aussi crise liée à la ten­ta­tive de pro­tes­tan­ti­ser le dogme et la litur­gie catho­liques, entre­prise loin d’être ter­mi­née de nos jours. Paul VI use son éner­gie à com­battre ce mou­ve­ment et les « fumées de Satan » entrées au sein de l’Eglise. Mais, si sur le fond, sa cohé­rence est indu­bi­table, sur la forme il manque sou­vent de fer­meté, s’épuise en vain à convaincre, à dis­cu­ter. On ne peut qu’être frappé par son indul­gence pour Hans Küng, dont les thèses res­pirent le pro­tes­tan­tisme, et sa dureté à l’encontre de Mgr Lefebvre qui défend un catho­li­cisme certes ancien mais qui reste quand même du catho­li­cisme ! Les plus pro­gres­sistes ne lui en sont pas pour autant gré puisqu’ils le couvrent d’insultes pour Huma­nae vitae, la cou­ra­geuse ency­clique de 1968 qui refuse la contra­cep­tion chi­mique, ou pour sa défense du céli­bat sacer­do­tal. Preuve qu’on avait bien affaire à une œuvre de des­truc­tion dogmatique.

Enfin, on est inter­pellé par le qua­li­fi­ca­tif uti­lisé par Phi­lippe Che­naux : « le pape éclairé ». L’auteur s’en explique dès l’introduction, en com­pa­rant Paul VI aux monarques des Lumières dési­reux de réfor­mer leur Etat. Les Lumières ? Celles qui débou­chèrent, non pas sur la réforme, mais sur la révo­lu­tion des­truc­trice des struc­tures tra­di­tion­nelles ? Osons une ques­tion : n’est-ce pas là jus­te­ment le drame de ce pape ? Paul VI a été à la fois l’héritier fidèle d’une his­toire bimil­lé­naire et un homme de son temps, confronté à des rup­tures sociales et reli­gieuses telles que l’Europe n’en avait pas connu depuis la Révo­lu­tion fran­çaise. La ques­tion que cette nou­velle forme de contes­ta­tion posait s’avérait redou­table : com­ment adap­ter l’Eglise au temps de la moder­nité ? Paul VI cherche vrai­ment, avec une sin­cé­rité et une convic­tion admi­rables, à trou­ver la réponse. Force est de consta­ter qu’il n’y par­vient pas. Il donne plu­tôt l’impression de s’épuiser à col­ma­ter les brèches ouvertes par ceux consi­dé­rant LE concile comme une auto­ri­sa­tion à tout détruire.
Ce n’est pas rabais­ser Paul VI que de dire que c’est Jean-Paul II qui remet­tra de l’ordre dans l’Eglise en consi­dé­rant comme clos le temps des débats avec l’aide du car­di­nal Rat­zin­ger. Aujourd’hui, Fran­çois rouvre les dis­cus­sions, libère la parole et donne l’impression d’être ouvert aux nou­veau­tés. Alors il faut vite lire cette riche biographie…

fre­de­ric le moal

 Phi­lippe Che­naux, Paul VI. Le sou­ve­rain éclairé, Le Cerf, mai 2015, 421 p. — 29,00 €.

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