Chez Christian Jaccard, au travail du feu s’adjoint celui du détournement. A l’aide de peintures anonymes parfois des plus quelconques retrouvées dans quelques brocantes ou décharges, Jaccard entreprend un travail de restauration puis de brûlures. Il permet de faire jaillir une imprévisible lumière que leurs créateurs anonymes ne soupçonnaient même pas. Par le trou qu’opère le feu dans la toile une libération se produit.
Parfois l’artiste, quittant son atelier, s’empare de l’espace afin de créer ses tableaux éphémères en se confrontant à une friche industrielle ou à une ancienne mine. Ces «performances», ces « actions painting et burning » ont pour objet de brûler les murs et édifices afin de solliciter chez le spectateur une véritable expérimentation de l’acte créateur dans un processus bien plus complexe qu’il n’y paraît.
Toutes ces « Conversations » (titre d’un livre « théorique » du plasticien) offrent un complément « d’enquête » majeur et pluriel sur l’art. Jaccard réinsère donc du ludique dans l’art sans pour autant estimer que l’art n’est pas sérieux. Au contraire. Il reste une activité suprême dont l’ariste se doit de rouvrir le jeu par des gestes iconoclastes, primitifs, rupestres dont l’apparent non-sens cache une stratégie ambitieuse. La suie sombre des traces y devient voluptueuse et la calcination provoque d’étranges volutes. Elles inventent un nouveau clair-obscur et une vaporisation, une hantise de l’air.
Entre les volutes des fumées et « les merveilleux nuages » dont parlait Baudelaire, une jonction se produit. Dans les deux cas, la déformation incessante des éléments volatiles sollicite l’imaginaire par les perceptions aléatoires qu’elle produit. Elle laisse une place au hasard auquel l’artiste doit parfois se plier pour l’intégrer dans sa démarche. Car le feu n’est pas un complice qui se laisse dompter.
Et si Jaccard s’est laissé porter par exemple vers l’œuvre « nuageuse » de Hendrik Breitner, c’est parce qu’il y avait là une confrontation avec ce qu’il cherche dans tout son travail. Ce que Breitner fixe, Jaccard le laisse vacant pour regarder ailleurs et voir autrement ici-même, ici-bas, sans propension mystique mais dans la matérialité consumée du réel.
jean-paul gavard-perret
Christian Jaccard , Energies dissipées, du 12 Septembre au 7 Novembre 2015, Galerie Valérie Bach, Bruxelles.