Pierre Sengès propose son petit traité d’éducation lubrique. Malgré son titre, il n’a rien de scabreux ou de scandaleux. La « zoophilie » se décline ici à l’ombre de l’Ancien Testament et plus particulièrement l’histoire de Noé et de son Arche. C’est là, selon Sengès, et contrairement à ce qui est écrit dans la Bible, que le bon patriarche a invité uniquement les femelles de chaque espèce. Libre à lui — ou plutôt nécessité faisant loi — d’en assurer la reproduction. De cette expérience diluvienne, Noé aurait donc rapporté, si l’on en croit le romancier iconoclaste, des notes de service et de voyage sous forme à la fois de manuel pratique et d’élégie poétique. De l’Autruche, le « Noéros » écrit : « bien sur, un certain athlétisme, soixante-dix kilomètres-heure, des coups de pattes à décapiter un jeune tigre : mais toutes ces plumes, toutes ces plumes, et là-dessous un vrai boudoir de coquette, un confort fin de siecle — enfin, une fois chose faite, l’idée saugrenue d’avoir fécondé un œuf de la taille d’un globe ».
Le procréateur n’exclut donc en rien les activités érotiques des procréatrices : mais c’est pour la bonne cause. 99 animaux (le 100ème serait-il l’homme ?) sont donc visités (du nautile au tyrannosaure ou au faucheux) avec un humour moins bestial que corrosif et plus que drôle. Tout reste allusif, poétique et délicieux. Les scènes quasi-surréalistes de pattes en l’air sont un perpétuel émerveillement et l’on en vient à plaindre Noé lorsque Mengès nous rapporte sa confidence : « Mon grand regret est de n’avoir pas su me montrer digne du varan ». Mais à l’impossible nul n’est tenu. Et un grain de compassion reste parfois le bienvenu.
Plus que des traités libidineux ou à l’opposé ceux chers à Buffon, nous sommes proches de Michaux qui ne renierait en rien l’aparté quelque peu « noéseux » du fornicateur zélé et forcé au sujet du lévrier : « rien de bien haut, mais tout ce galbe donne le vertige (et la désagréable impression de forniquer sur un meuble Louis XV) ». Bref, il y a là toute une histoire naturelle qui ne l’est pas forcément. L’humour à peine nonsensique nous sort des gouffres d’ennui confondant où tant de litté-rateurs nous enferment.
jean-paul gavard-perret
Pierre Senges, Zoophile contant fleurette, Cadex éditions, coll. « Texte au carré », Montpellier, 2015, 60 p. — 12,00 €.