Marion Guillot, Changer d’air — Rentrée 2015

Quand vient la fin de l’été

Tout semble bien en place dans la vie du nar­ra­teur (Paul). Et ce, jusqu’à son amour : « Depuis plu­sieurs années, ce dont j’étais plu­tôt fier, je ne regar­dais pas d’autre femme que la mienne ». Tou­te­fois, moins que les émois du cœur, c’est l’intelligence de sa com­pagne qui le retient à elle. L’humour idem : « Cet humour que je déses­pé­rais de trou­ver chez une femme, qu’aucune avant elle n’avait su m’offrir ni même conce­voir ». Il suf­fit pour­tant de peu pour que, dans ce roman autom­nal, (du moins à l’origine) tout bas­cule.
« Sous cette lumière de fin de sai­son, dans ce matin où, pour la pre­mière fois depuis des semaines, il me fal­lait retour­ner tra­vailler, sans pers­pec­tive de bai­gnade » écrit le nar­ra­teur, il est per­cuté sou­dain par un inci­dent : une femme à quelque mètres de lui tombe dans la mer, « trop loin pour que je puisse entendre les cla­po­tis de ses sem­blants de brasse, trop près pour que j’oublie ce qu’elle avait de sor­dide à offrir ». Il s’enfuit alors, rega­gnant le quai en « espé­rant si fort que per­sonne ne l’aurait vu ». Désor­mais, la douce quié­tude de Paul disparaît.

Pour autant et fidèle à l’esthétique des Edi­tions de Minuit, Marion Guillot ne traite pas la fic­tion par le milieu de sa rue prin­ci­pale mais selon les bords et par la bande. Ecrit à la pre­mière per­sonne, cette ver­sion revi­si­tée de La Nau­sée entraîne Paul dans une sorte de « vie à l’envers », suite à son départ de sa vie anté­rieure, et au « hasard » de ses nou­velles ren­contres. Une sur­tout. Qui engage le nar­ra­teur vers une perte sup­plé­men­taire de com­pa­cité uni­fi­ca­trice. Des ombres cir­culent sou­dain dans sa vie, venant agran­dir des trous dans son his­toire. Mais plus que le pro­blème ou la pro­gres­sion iden­ti­taire, la musique sub­tile, trou­vée de manière presque ins­tinc­tive par l’auteure, donne à cette errance urbaine com­pé­né­trée du passé sa pro­fon­deur.
On pour­rait taxer le nar­ra­teur de machiste si de fait il n’était que le porte-voix de la roman­cière. Mais c’est tout sauf le cas ici.  L’auteure — ayant l’intelligence de chan­ger de sexe pour écrire sa nar­ra­tion à la pre­mière per­sonne via son nar­ra­teur — a en effet astu­cieu­se­ment évité bien des pièges de beau­coup de pre­miers romans étouffe-chrétiens (ou autres croyants). En cette tor­sion, elle fait une belle entrée dans l’univers roma­nesque — il est vrai qu’être retenu par les édi­tions de Minuit est en soi un gage de qua­lité.  Elle prouve aussi que l’essence de la lit­té­ra­ture comme de la soli­tude qui la fonde sait pro­gres­ser avec pré­ci­sion et non sans humour (en fili­grane) dans un texte qui devient une cava­tine aussi pré­cise qu’allusive.

Marion Guillot a trouvé le lan­gage par­fait pour retra­cer par dévers une his­toire. Celle-ci est racon­tée avec l’extrême pré­ci­sion des som­nam­bules qui marchent sur les toits. Ils ne craignent pas la chute. Si bien que le lumi­neux éphé­mère s’installe face à la nuit. Ce qui ne veut pas dire que tout finisse bien. Mais, tout compte fait, cela est secondaire.

jean-paul gavard-perret

Marion Guillot, Chan­ger d’air, Edi­tions de Minuit, Paris, 2015 ‚176 p. — 14,00 €.

2 Comments

Filed under Romans

2 Responses to Marion Guillot, Changer d’air — Rentrée 2015

  1. DONZEL Anne

    Je me per­mets de signa­ler un contre-sens fait par Jean Paul Gavard-Perret. Au début de l’histoire, le nar­ra­teur, Paul observe la jeune femme sor­tie de l’eau et nous fait part de ses obser­va­tions :.….“une femme lut­tait contre le poids de son sac et de ses vête­ments trem­pés pour rega­gner le quai en espé­rant si fort que per­sonne ne l’aurait vue”. Ce n’est donc pas le nar­ra­teur qui espère que per­sonne ne l’aura vu !
    Je trouve au contraire que ce roman aurait pu s’appeler “la chute” car toute l’histoire et le che­mi­ne­ment du nar­ra­teur sont déclen­chés par la chute de la dame dans le port puis la chute du pois­son rouge. Deux chutes pour les­quelles il a été dans l’incapacité d’intervenir . Et sans vou­loir dévoi­ler la fin, ce qu’il croit être une fuite volon­taire me semble être un che­mi­ne­ment vers sa propre chute .

  2. femmesdelettres

    Comme votre chro­nique le pré­cise elle-même, il s’agit sur­tout d’une resau­cée d’un plat déjà servi maintes fois par les édi­tions de Minuit… https://femmesdelettres.wordpress.com/2017/09/08/marion-guillot-changer-dair-2015/

Répondre à femmesdelettres Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>