Tout semble bien en place dans la vie du narrateur (Paul). Et ce, jusqu’à son amour : « Depuis plusieurs années, ce dont j’étais plutôt fier, je ne regardais pas d’autre femme que la mienne ». Toutefois, moins que les émois du cœur, c’est l’intelligence de sa compagne qui le retient à elle. L’humour idem : « Cet humour que je désespérais de trouver chez une femme, qu’aucune avant elle n’avait su m’offrir ni même concevoir ». Il suffit pourtant de peu pour que, dans ce roman automnal, (du moins à l’origine) tout bascule.
« Sous cette lumière de fin de saison, dans ce matin où, pour la première fois depuis des semaines, il me fallait retourner travailler, sans perspective de baignade » écrit le narrateur, il est percuté soudain par un incident : une femme à quelque mètres de lui tombe dans la mer, « trop loin pour que je puisse entendre les clapotis de ses semblants de brasse, trop près pour que j’oublie ce qu’elle avait de sordide à offrir ». Il s’enfuit alors, regagnant le quai en « espérant si fort que personne ne l’aurait vu ». Désormais, la douce quiétude de Paul disparaît.
Pour autant et fidèle à l’esthétique des Editions de Minuit, Marion Guillot ne traite pas la fiction par le milieu de sa rue principale mais selon les bords et par la bande. Ecrit à la première personne, cette version revisitée de La Nausée entraîne Paul dans une sorte de « vie à l’envers », suite à son départ de sa vie antérieure, et au « hasard » de ses nouvelles rencontres. Une surtout. Qui engage le narrateur vers une perte supplémentaire de compacité unificatrice. Des ombres circulent soudain dans sa vie, venant agrandir des trous dans son histoire. Mais plus que le problème ou la progression identitaire, la musique subtile, trouvée de manière presque instinctive par l’auteure, donne à cette errance urbaine compénétrée du passé sa profondeur.
On pourrait taxer le narrateur de machiste si de fait il n’était que le porte-voix de la romancière. Mais c’est tout sauf le cas ici. L’auteure — ayant l’intelligence de changer de sexe pour écrire sa narration à la première personne via son narrateur — a en effet astucieusement évité bien des pièges de beaucoup de premiers romans étouffe-chrétiens (ou autres croyants). En cette torsion, elle fait une belle entrée dans l’univers romanesque — il est vrai qu’être retenu par les éditions de Minuit est en soi un gage de qualité. Elle prouve aussi que l’essence de la littérature comme de la solitude qui la fonde sait progresser avec précision et non sans humour (en filigrane) dans un texte qui devient une cavatine aussi précise qu’allusive.
Marion Guillot a trouvé le langage parfait pour retracer par dévers une histoire. Celle-ci est racontée avec l’extrême précision des somnambules qui marchent sur les toits. Ils ne craignent pas la chute. Si bien que le lumineux éphémère s’installe face à la nuit. Ce qui ne veut pas dire que tout finisse bien. Mais, tout compte fait, cela est secondaire.
jean-paul gavard-perret
Marion Guillot, Changer d’air, Editions de Minuit, Paris, 2015 ‚176 p. — 14,00 €.
Je me permets de signaler un contre-sens fait par Jean Paul Gavard-Perret. Au début de l’histoire, le narrateur, Paul observe la jeune femme sortie de l’eau et nous fait part de ses observations :.….“une femme luttait contre le poids de son sac et de ses vêtements trempés pour regagner le quai en espérant si fort que personne ne l’aurait vue”. Ce n’est donc pas le narrateur qui espère que personne ne l’aura vu !
Je trouve au contraire que ce roman aurait pu s’appeler “la chute” car toute l’histoire et le cheminement du narrateur sont déclenchés par la chute de la dame dans le port puis la chute du poisson rouge. Deux chutes pour lesquelles il a été dans l’incapacité d’intervenir . Et sans vouloir dévoiler la fin, ce qu’il croit être une fuite volontaire me semble être un cheminement vers sa propre chute .
Comme votre chronique le précise elle-même, il s’agit surtout d’une resaucée d’un plat déjà servi maintes fois par les éditions de Minuit… https://femmesdelettres.wordpress.com/2017/09/08/marion-guillot-changer-dair-2015/