Anne Bonhomme, Temps noir

L’œuvre au noir

On a par­fois ten­dance à consi­dé­rer la poé­sie tel un crépi concep­tuel à visée morale, poli­tique, socio­lo­gique, psy­cho­lo­gique. Bref, à la trai­ter comme un stuc appli­qué sur le mur de nos exis­tences en oubliant que c’est avant tout une lutte de l’émotion avec la langue pour dire ce qui se pense du monde tel qu’il est en s’écrivant. C’est pour­quoi trai­ter la créa­tion comme connais­sance est tou­jours ambigu. Anne Bon­homme prouve qu’il faut consi­dé­rer toute pro­duc­tion lan­ga­gière comme une frac­ture afin de cas­ser notre rap­port au réel et sa cruauté pour sau­ver ce qui peut l’être :
« La guerre éclate tout
La guerre éteint tout.
Au milieu, un petit enfant.
Mon seul souci ».
C’est là sa seule sub­ver­sion que peut la poé­sie : la vie décou­verte et éclair­cie par celle-là.

Le poème reste donc avant tout un type d’attention porté au réel et à l’existence. On semble ne pas pou­voir en dire plus car son mys­tère nous échappe. Il reste tou­te­fois le cri de stu­peur auquel Anne Bon­homme donne des mots. Certes, la poé­sie reste noc­turne. Mais com­ment en pourrait-il être autre­ment ? Il s’agit à pro­pre­ment par­ler d’ « œuvre au noir » chère à une autre grande écri­vaine belge. Le texte est donc le moyen de s’accrocher non seule­ment à « la pluie au des­sus des morts » mais à ce qu’elle per­met de faire ger­mer : «mûre encore verte » et « soli­taire prunelier ».

jean-paul gavard-perret

Anne Bon­homme, Temps noir, illus­tra­tions de Simonne Jans­sens, Edi­tions Le Cou­drier, Mont Saint Gui­bert. 2015 — 14,00 €.

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