Une dameuse de la station de Champoluc, dans le Val d’Ayas, passe sur un corps dissimulé sous une mince couche de neige. Le conducteur affirme qu’il a pensé avoir heurté une roche ou une racine, mais que son passage a déclenché un nuage de plumes. Rocco Schiavone, le sous-préfet de permanence est alerté. Or, il déteste être dérangé, d’autant qu’il est avec une jolie femme. Sur place, les pieds gelés car il ne veut porter que des Clarks, il voit un corps déchiqueté par la machine. L’anatomopathologiste, à l’institut, réussit à reconstituer le puzzle macabre et découvre, sur le pectoral droit, un tatouage bien particulier.
À la Préfecture, une femme vient déclarer la disparition de son mari, parti depuis la veille pour le village. Interrogée par Rocco, elle dévoile que son mari, comme elle, porte le même tatouage qui signifie : “Qu’aucun obstacle ne surgisse entre nous.” Ayant l’identité du mort, le sous-préfet doit appréhender les raisons de son assassinat et l’identité du, ou des, meurtriers. Les pistes se multiplient et Rocco doit faire preuve, malgré sa mauvaise humeur permanente, de toute sa sagacité…
Piste noire est la première enquête de cet ex-commissaire, devenu sous-préfet depuis que ce titre n’existe plus dans la police italienne. L’auteur offre un récit policier de type classique, bien conçu et construit avec suffisamment de rebondissements pour que le lecteur soit amené à tourner régulièrement les pages. Mais le roman vaut surtout pour le héros, ce Rocco Schiavone, un individu au comportement odieux et qui est présenté comme : “Séducteur, corrompu, sarcastique, …aussi antipathique qu’attachant. Le genre de héros qu’on adore détester.” Il est vrai que ses rapports avec les autres sont empreints de dédain, d’arrogance. Ce sont tous des nuls ! Il est méprisant avec ses subordonnés, fait preuve d’humour noir avec ses égaux et il est insolent avec ses supérieurs. Ayant vécu à Rome, seule la vie dans cette ville trouve grâce à ses yeux. Aussi, que cache sa mutation dans la vallée d’Aoste, un pays qu’il abhorre ? Il concède, à l’un de ses subordonnés qu’il ne considère pas trop mal : “C’est ma Némésis à moi. Je paye…” Toutefois, cela ne l’empêche pas de jouer avec la légalité avec une facilité déconcertante, franchissant allègrement, lorsque l’occasion se présente, les limites de l’honnêteté.
Mais, peu à peu, apparaît derrière cette attitude détestable un caractère complexe nourri de souffrances et d’émotions difficiles à vivre. Ce héros est intéressant à suivre dans ses cheminements erratiques, déchiré entre la volonté de faire régner une certaine justice et ses sentiments contradictoires qui l’amènent à afficher cette personnalité extérieure.
L’auteur aurait-de sérieux griefs contre la population policière italienne pour dépeindre aussi négativement celle-ci dans son roman ? Peu d’individus échappent à cette description calamiteuse. Par contre, il émet des idées intéressantes quant aux hommes politiques. Pourquoi ne pas faire comme au football, ou dans d’autres sports, aller chercher les meilleurs quelle que soit leur origine pour former une équipe gouvernementale de qualité et non des groupes qui donnent l’image « d’un pays de polichinelle » ?
Piste noire donne très envie de retrouver ce héros au sombre caractère pour essayer d’en savoir plus sur sa carrière policière et les raisons de son attitude.
Feuilleter le livre ici
serge perraud
Antonio Manzini, Piste noire (Pista Nera), traduit de l’italien par Samuel Sfez, Denoël, coll. “Sueurs froides”, mars 2015, 256 p. – 20,50 €.