Pour la collection Terres de France des Presses de la Cité, Philippe Bouin crée une série dont l’action se déroule dans un village au cœur du Beaujolais avec un héros atypique. Ancien juge d’instruction, Archibald Sirauton s’est reconverti, grâce à un héritage, en vigneron. Adjoint au maire de Saint-Vincent-des-Vignes, il se retrouve premier magistrat par le décès du titulaire dans Le Vignoble du diable. Après Le Chaix des Ambitieux où l’auteur confronte son héros à la disparition d’un richissime fondateur de Chais, il le propulse avec L’Homme du paradis, dans deux nouvelles affaires.
Les habitants de la commune sont en émoi. Un site Internet dénommé Village en folies, dévoile les turpitudes de ses résidents, à commencer par les personnalités : le maire, l’adjoint, le facteur, l’institutrice et Xavière Sifakis, dite Xa, comédienne et fiancée d’Archibald. L’émotion croît encore quand le corbeau continue ses révélations les jours suivants.
À Lyon, Xavière répète Le Bourgeois gentilhomme sous la direction de Paul Deflers, une pointure dans la mise en scène de l’œuvre de Molière. Celui-ci est d’une humeur de dogue et démolit ses acteurs. Archibald, venu à Lyon pour rencontrer un ami informaticien capable d’identifier le corbeau, retrouve Xa au théâtre. Il se fait discret, regarde avec émotion ce lieu qu’il a beaucoup fréquenté, surtout au paradis. Il y repère, d’ailleurs, une silhouette qu’il ne peut identifier à cause de la pénombre. Deflers décide d’une pause, pause que les deux amoureux mettent à profit pour aller déjeuner dans un bouchon. C’est au retour que le drame se noue. On retrouve, dans son bureau, le metteur en scène le crâne éclaté.
Philippe Bouin s’est fait reconnaître comme romancier avec des polars historiques fort bien façonnés et des romans noirs de la plus belle eau. Il avait déjà excellé dans la comédie policière avec les enquêtes drolatiques de Sœur Blandine, une jeune religieuse à qui il ne fallait pas en conter. Il revient, avec Archibald Sirauton, à ce genre qui convient parfaitement à son goût pour les situations cocasses, pour l’humour caustique dont il ne se départit pas. Il conçoit, pour l’occasion, un héros bien particulier qui, après un passage par la Justice, entre dans le monde rural où il peut laisser libre cours à sa fantaisie. Celle-ci commence avec ses tenues vestimentaires : “…toujours se vêtir à la mode des sauvages. Et à quoi ressemble-t-il avec ses bijoux indigènes, sa barbe de pop star, son catogan de pirate ?” Sa position, libre de tout parti, lui laisse une totale liberté d’expression vis-à-vis de ses administrés.
L’auteur déroule alors quelques dialogues hilarants, tant ils sont percutants. Il entoure son héros d’une galerie de personnages taillés sur mesure avec des rôles tenus haut la main. Philippe Bouin raconte aussi un monde rural construit autour d’une monoculture qui génère des profits conséquents, un univers qu’il connaît bien, vivant tout près. Mais, sous des dehors légers, sous l’humour, le romancier combine des intrigues soignées, signe des comédies documentées, construites avec érudition. Il joue sur le décalage entre l’apparence de ce personnage aux allures “baba cool” et ses connaissances juridiques, sa perspicacité. Il prend également en compte l’antagonisme qui existe, bien que tout le monde s’en défende, entre gendarmerie et police, entre armée et gendarmerie.
Dans ses dialogues, dans ses descriptions, l’auteur use d’un vocabulaire relevé, faisant reprendre, par exemple, des fautes lexicales par Tirbouchon, le labrador du héros qui suit, depuis son tapis d’horreur, les conversations des « deux pattes » et commente avec malice leurs attitudes et leurs contradictions. Mais l’auteur dénonce les larves qui, sur Internet, se cachent sous des pseudos pour déverser leur haine, leurs calomnies. Grisées par ce pouvoir de nuisance que donne l’anonymat, et sa quasi impunité, elles ne se soucient pas des destructions que peuvent occasionner leur médisances. Il pointe également quelques dysfonctionnements sociétaux et plante quelques piques sur le monde politique et son fonctionnement erratique.
Entrez dans ce roman. Vous découvrirez, avec L’Homme du paradis, une histoire passionnante, servie par une verve digne d’un Sacha Guitry.
serge perraud
Philippe Bouin, L’Homme du paradis, Presses de la Cité, coll. “Terres de France”, juin 2015, 320 p. – 20, 00 €.