Il est reproché aux enfants peu sages de manger leur pain blanc avant le noir. C’est du moins l’idée de ceux qui fonctionnent avec leur péché de présomption, leur excès de faiblesse. Toutefois, ils annoncent sans le comprendre que — n’en déplaise à Baudelaire — le soir ne contient nulle harmonie. Jean-Louis Bernard s’élève contre de telles prévarications sur l’avenir. Sans doute parce qu’il sait que tout passé est irrattrapable et que le présent se gaspille dans le fugitif. Puisqu’il n’y a pas de miracle, de vérité voire de réconciliation de l’être avec lui-même, le poète explore ses failles. Il ouvre son livre par le serpent qui en pointe et qui jusque dans son venin est sagesse si (le si est important) le langage poétique est capable de le sortir de son hibernation.
Il ne s’agit pas pour autant de simplement « tomber » dans l’écriture mais d’y faire son chemin d’exil puisque plus les lignes avancent plus celle l’horizon du sens recule. Ecrire est donc l’écho d’une autre musique absente, d’un pâle reflet tout aussi pâle mais qui nécessite de persévérer dans l’inutile sans s’accorder de circonstance atténuante. Ecrire peut donc sembler persévérer dans un nihilisme passif, une illusion d’optique hors de tout spectacle. Mais c’est aussi trouver une voie inconnue et qui n’a pas de nom. Du moins pas encore.
« L ’exil est donc dans le verbe » qui lui-même porte à « l’espace impensable/du monde ». Sinon l’écriture n’est rien. Elle doit affronter le danger et faire des images non des corps mais des vibrations. Leur « rempart de brindilles » permet au marcheur d’avancer. Jean-Louis Bernard le sait : il a pris très tôt cette étrange manie d’aller de son côté, de prendre un plaisir manifeste à la solitude et de porter attention à une écriture plus pratique que conceptuelle même si l’auteur y cherche oxymoriquement «l’assomption de l’immense/jusqu’à l’infime ».
Selon une visée mallarméenne, sa poésie devient ce coup de dés qui, s’il n’abolit pas le hasard et encore moins le monde, permet de crée un pont au-dessus du vide. Il pousse vers l’avant sans garde-fou et qu’importe que les saisons soient blanches et sèches ou l’inverse. Il s’agit d’atteindre « dans la présence de l’effacement » un moyen de retourner le silence, d’entrer dans ses failles. D’où l’importance de l’image du serpent qui ouvre le livre : phallique et matriciel (en ses enroulements), il demeure ce qui rampe entre ombre et lumière. Comme toute existence et les regrets qu’elle fomente. Et ce jusqu’à son dernier souffle avant que le silence redevienne l’immortel souverain : Dieu à côté de lui n’est qu’un misérable ersatz, une commodité de la conversation bon pour oublier certaines misères et désagréments. De celles et ceux-ci, Jean-Louis Bernard fait une haute école tel un vieil étudiant bizarre et farouche qu’il convient de lire. Sinon pour épouser ses visions, du moins éprouver nos limites à l’aune de ce que celles-là fomentent.
jean-paul gavard-perret
Jean-Louis Bernard, Accueil de l’exil , ill. d’Anne Moser, Les Lieux Dits Editions, Strasbourg, 2015.